La chapelle du Diable
il avait lu tous les livres, journaux, revues qui lui
étaient tombés sous la main. Il s’était rendu compte que le monde ne se résumait
pas à ce qu’il croyait, qu’il y avait deux côtés à une médaille.
— Pourquoi est-ce que ce serait juste nous qui auraient la vérité pis pas les
autres ? Pourquoi c’est faire qui aurait rien que nous autres qui penseraient
correct ? Moé, j’dis qu’y a peut-être ben plus qu’une vérité,
déclara-t-il.
Mathieu avait replongé dans la musique comme s’il ne s’était jamais interrompu.
Il ne jouait pas les chansons du cahier. Il composait. Julianna lui avait donné
du papier et lui avait appris à tracer les cinq lignes d’une portée, les clefs
de sol et de fa, les notes. Elle savait que son fils était un prodige. Son
oreille d’artiste reconnaissait le talent lorsque, impressionnée, elle écoutait
les œuvres de son fils. Son cœur de mère, lui, y décelait de la détresse, un mal
de vivre qu’unpetit garçon de huit ans et demi n’aurait pas dû
ressentir... Pendant la soirée, il fit un récital. On l’applaudit
chaleureusement. Mais ce fut Julianna qui vola la vedette en entonnant des
chansons de circonstance.
Henry avait encore gâté son filleul et lui avait offert tout un équipement de
hockey. Des pieds à la tête, il était converti en un petit joueur des Canadiens
de Montréal. Henry vit bien que tout cet ensemble ne signifiait pas grand-chose
pour lui.
— Tu te rappelles notre équipe de hockey ? demanda Henry à
François-Xavier.
Avec passion, les deux hommes parlèrent des Canadiens, de leur joueur préféré
et de leur victoire de la coupe Stanley. Henry raconta la mort de Howie Morenz
survenue l’année d’avant.
— Mourir d’une crise cardiaque, c’est vraiment trop bête, dit-il.
— Surtout qu’y s’était cassé une jambe juste un peu avant, dit son ami.
— Y en aura pus jamais comme lui, se désola Henry. Tu savais que pus jamais ils
vont donner le numéro 7 à un joueur ?
Mathieu ouvrit de grands yeux ronds. C’était le numéro inscrit au dos de son
chandail. Le lendemain, Henry eut l’idée de mettre sur pied une joute de hockey
mémorable selon les règles de l’art.
— Est-ce qu’y a une patinoire pour jouer au hockey par ici ?
demanda-t-il.
François-Xavier venait de revenir de l’étable et se préparait à déjeuner. Tout
le monde avait déjà mangé. Les enfants étaient en haut avec Marie-Ange sauf
Yvette qui essuyait la vaisselle que sa mère lavait et Pierre qui s’était assis
aux côtés de Henry. Surpris par la question, François-Xavier lui
répondit :
— Ben, les p’tits gars jouent dans le chemin tapé en avant de chez Ti-Georges.
Pourquoi ?
Henry lui fit part de son idée. Prenant ce projet au sérieux, il demanda de
quoi écrire. Avec ce que Julianna lui apporta, il planifia lajournée en réfléchissant à voix haute, Pierre penché sur son épaule.
— On pourrait jouer dimanche prochain, oui, après la grand-messe. Bon, qui joue
contre qui ?
Il forma les équipes. Les Rousseau contre les Gagné. François-Xavier, Pierre,
Mathieu et lui contre Ti-Georges, Jean-Marie, Elzéar et Delphis. Non, Henry
oubliait le handicap du plus vieux des enfants Gagné...
— Hum... Bon ben, Jean-Marie va garder les buts de son équipe.
Pour les Rousseau, l’avocat décida que ce serait lui qui jouerait à cette
position.
— Je me suis levé avec un mal de rein. Je pourrais pas rester longtemps penché
sur une rondelle, expliqua-t-il. Mais ça me laisse juste trois joueurs pour se
faire la passe... Ça sera pas une grosse game ...
— J’peux jouer moé itou, mononcle Henry.
Il leva les yeux de la feuille sur laquelle il gribouillait une patinoire
imaginaire et des X pour représenter les joueurs. Un instant, il regarda,
interdit, Yvette qui venait de s’offrir comme joueuse. Il chassa cette idée sans
prendre la peine d’y répondre et revint à ses équipes.
— On pourrait peut-être demander à des voisins... Y doit ben avoir des p’tits
gars dans le bout qui viendraient jouer, marmonna-t-il.
— Papa ! insista Yvette, j’aimerais ça pouvoir jouer...
François-Xavier, qui mangeait en silence en laissant son ami préparer la
journée, répondit à sa fille que ce n’était pas à lui de décider.
— C’est Henry le grand boss dans cette affaire-là. Moé, je m’en
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