La chapelle du Diable
comme réserve d’eau. Avant la guerre, il s’était battu pour
dénoncer le rehaussement du lac... Ce n’était donc pas d’hier que la compagnie
se comportait en reine et maîtresse envers eux.
C’était vraiment un grand homme. Il parlait avec son cœur. François-Xavier
buvait ses paroles de justice, de vérité, d’intégrité. Monsieur Tremblay demanda
à ceux qui le voulaient de se présenter et de faire un résumé des dommages sur
leur terrain. François-Xavier garda le silence. La plupart avaient un lourd
bilan et se demandaient ce que leur réserverait l’avenir.
Volés, bafoués, ignorés, les cultivateurs perdirent leur calme et les
récriminations fusèrent de partout. Quelques-uns proposèrent le recours à la
violence, d’autres, plus défaitistes, juraient qu’il n’y avait rien à faire...
Encore une fois, monsieur Tremblay demanda le calme. Il leur présenta un avocat
qui leur confirma que la compagnie avait agi illégalement. Le brouhaha reprit.
On voulait connaître les recours possibles, les risques encourus et combien cela
pourrait leur coûter. Le ton monta à nouveau. Les commentaires se firent
incisifs.
— Maudite compagnie, vendus d’inspecteurs, tous des vendus !
— Des pourris, des écœurants !
— Ils sont ben trop riches, on peut rien contre eux autres.
— J’veux pas perdre encore plus... On devrait accepter l’argent pis s’en
aller...
— Y rient de nous autres !
— Qu’y les achètent nos terres astheure qu’y les ont pris sans demander !
— Moé, j’ai jamais voulu vendre ma ferme, jamais !
— On nous traite comme des chiens ! Le gouvernement est pas de notre bord, on
gagnera jamais...
— J’ai une grosse famille, j’peux pas m’permettre de tout perdre. La compagnie
offre pas grand-chose, mais c’est mieux que rien.
Monsieur Tremblay les ramena à l’ordre. Il comprenait leur
inquiétude, leur colère, et c’est pourquoi il était important que des hommes de
valeur forment le comité et se battent jusqu’au bout pour que justice soit
faite. Il y eut un silence. Il était très difficile pour ces hommes de signer un
tel engagement. C’était une grosse responsabilité. Le chef de la réunion leur
répéta alors qu’ils étaient libres d’être membres du comité ou non, que personne
ne les jugerait. Il fit remarquer que l’on n’avait pas encore entendu monsieur
Rousseau, resté tranquille dans son coin. Tous se tournèrent vers l’homme roux
et attendirent. Gêné, François-Xavier se racla la gorge.
— Vous savez, moé, ben... chus pas ben ben savant des affaires de loi,
commença-t-il, gêné. Chus pas avocat pis j’viens pas de la grande ville...
Il respira un grand coup et avoua :
— J’ai ben hésité avant de venir à cette réunion... J’avais peur, pis j’ai
encore peur si vous voulez savoir.
François-Xavier s’enhardit et continua d’un ton raffermi.
— Peur de perdre tout ce que j’ai bâti, peur de pus pouvoir nourrir ma famille,
peur d’être chassé de mon village.
L’homme fit une légère pause et jeta un regard circulaire sur
l’assemblée.
— Mais ce qui me fait le plus peur, ce serait de jamais pouvoir regarder mon
fils dans les yeux parce que j’aurais honte d’avoir rien fait, d’avoir courbé la
tête. La peur, ça fait reculer. Si tu l’affrontes, tu vas avancer. Y a pas
personne qui va labourer son champ de reculons pour pas briser son soc. Moé,
j’m’engage dans le comité.
Ti-Georges poussa une exclamation de soutien à l’égard de son ami et signa son
adhésion, suivi de plusieurs autres. Monsieur Tremblay sourit à l’adresse de
François-Xavier. Il conclut la réunion en leur disant qu’il ne fallait pas
perdre espoir, que Dieu était avec eux. Dans sa sagesse, il aiderait à faire
entendre raison à tous ces gens que le comité appellerait à l’aide : les
députés, le gouvernement, les citoyens,les curés... Tous
s’entendirent pour mandater le comité d’exiger que la compagnie leur offre un
dédommagement juste et équitable pour les dégâts et qu’elle s’engage à
redescendre le niveau du lac à un point raisonnable. On discuta encore par
petits groupes et les hommes reprirent le chemin de la maison, avec l’espoir que
tout s’arrangerait pour le mieux et que cet affreux été se terminerait sur une
meilleure note.
Cependant, à la troisième
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