La chapelle du Diable
semaine du mois d’août, presque deux mois jour pour
jour après la fermeture surprise des vannes du barrage, Ti-Georges débarqua en
trombe chez François-Xavier. Il revenait de Péribonka où il se tenait très
souvent ces temps-ci, discutant sans arrêt de la compagnie et des dommages.
François-Xavier était dehors, en train de creuser un canal d’irrigation pour
essayer d’assécher un chemin menant à sa fromagerie.
— Ah ben bateau, dit Ti-Georges tout énervé, viens voir ce qui est annoncé dans
le journal !
Dans ses mains, il tenait un exemplaire de la Gazette de Québec.
— Tu devineras jamais que c’est qui est écrit là-dedans !
François-Xavier délaissa son ouvrage et s’empara du journal. Ti-Georges lui
montra d’un doigt empressé l’emplacement de l’article qui les concernait. En
silence, François-Xavier en prit rapidement connaissance.
— Y veulent rire de nous autres ! s’exclama-t-il.
— C’est pas possible, hein ! J’en reviens pas encore.
Ce n’était pas vraiment un article. C’était un avis officiel que la compagnie
avait fait paraître avisant les citoyens de la fermeture des vannes du
barrage.
François-Xavier le relut encore une fois.
— Ça fait déjà deux mois qu’elles sont fermées ! ragea-t-il en tendant d’un air
dégoûté le journal à son ami.
— J’commence à croire qu’on retrouvera jamais nos terres... fit
Ti-Georges, découragé.
— Arrête de parler de même ! se fâcha François-Xavier en reprenant sa pelle et
ses travaux. J’te dis que tout va rentrer dans l’ordre !
Avec une ardeur redoublée, il piocha dans sa rigole.
— Avec l’automne pis l’hiver qui s’en viennent, comment qu’on va faire pour
vivre icitte ? s’écria Ti-Georges. On a pus de chemin praticable, on a pas eu de
récolte, on a pus d’argent qui rentre, on va crever comme des rats !
Sans relever la tête, François-Xavier continua à s’acharner à dévier l’eau. Il
savait tout cela ! Il ne dormait presque plus, cherchant des solutions, priant
pour que tout s’arrange. Il vivait un perpétuel cauchemar. Non ce n’était pas
possible, tout allait, tout devait s’arranger ! Un grand coup de pelle, se
pencher pour jeter au loin une roche, un autre coup de pelle, changer
d’instrument, prendre le pic, un grand élan et vlan ! se faire éclabousser de
gouttes de boue, ne pas s’en préoccuper, bander ses muscles, relever la pioche,
creuser, creuser...
— Ils vont rebaisser le niveau de l’eau, tu vas voir, affirma François-Xavier,
les dents serrées.
Et han, bander ses muscles, reprendre la pelle, élargir la rigole...
— Pis toute va être comme avant ! ajouta-t-il d’un ton déterminé.
Interloqué, Ti-Georges regarda un instant son ami s’acharner plus que de raison
sur son ouvrage.
— Si tu le dis, François-Xavier, voulut-il le calmer. Mais moé, j’en doute ben
gros, pis j’ai pris une décision…
— Pis tu proposes quoi, toé ? s’emporta tout à coup François-Xavier. Y ont noyé
ma fromagerie, pis y faudrait que je pleure sur mon sort ou bedon que j’aille
avec toé passer mes journées à boire à Péribonka ?
— J’passe pas mes journées à boire, se défendit Ti-Georges, étonné par la
réaction violente de son ami.
— Ah non ? fit méchamment François-Xavier en affrontant son
voisin du regard. Tout le monde dit que t’as du père dans le nez !
Ti-Georges eut un hoquet d’indignation.
— J’ai rien à voir avec mon père !
— Ben moé, j’trouve que le monde ont ben raison, rétorqua François-Xavier, ne
maîtrisant plus sa colère. Tu bois peut-être pas encore autant que lui mais t’es
tout aussi fainéant !
Ti-Georges serra les poings et s’empêcha de frapper ce visage rousselé.
— Ben regarde, tu vas pouvoir travailler en paix parce que t’es pas sur la
veille de me revoir la face !
— Bon débarras !
— Bon débarras toé-même !
En colère, Ti-Georges se détourna et quitta la ferme de son ami.
François-Xavier donna un si grand coup de pelle que le manche se brisa sous
l’impact. Il retira sa casquette et se passa une main dans les cheveux tout en
regardant son beau-frère s’éloigner. Ses paroles avaient dépassé sa pensée. Il
regrettait déjà chaque mot prononcé. Il se mettait rarement en colère. Lorsque
cela arrivait, c’était comme une tempête soudaine. Il
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von
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