La chapelle du Diable
beau. Ses longues jambes aux
cuisses fermes et dures, sa démarche assurée, son dos et ses épaules musclées
auxquelles elle aimait se pendre en gémissant... « Allons, Julianna, reprends
tes sens. » Sa proéminente poitrine serrée dans sa robe avait eu de l’effet sur
son homme, elle avait perçu le regard posé sur ses seins... « Julianna, pour
l’amour, pense à autre chose... Ah oui ! Marguerite est enceinte aussi. Il
faudrait pas qu’elle le perde, celui-là. Je devrais l’aider. »
— Si tu veux, tu peux m’envoyer les garçons chez nous pour un p’tit bout de
temps, offrit-elle.
Marguerite regarda ses fils au loin. Ils s’amusaient à escalader le haut tas de
planches.
— T’es ben fine, ma Julianna, mais c’est pas comme cet hiver. J’les vois pas, y
passent leur temps dehors. Ça va bien, j’te dis.
Rendu au sommet de la montagne de bois, Jean-Marie essaya, tel un funambule, de
traverser en équilibre une longue planche.
— Regarde papa ! cria l’enfant, tout fier de l’exploit. Chus même pas
tombé !
Ti-Georges eut à peine le temps de lever les yeux que le gamin perdit tout à
coup pied et dégringola de son perchoir. Aussitôt Marguerite s’élança.
Ti-Georges lâcha tout et, suivi de François-Xavier,alla
rejoindre sa femme vers la forme de son aîné, par terre, à côté de la charrette,
un madrier de travers sur les jambes.
Julianna serra son bébé très fort contre elle et accourut sur la scène de
l’accident. François-Xavier s’agenouilla près de Jean-Marie et lui
demanda :
— Ça va mon bonhomme ?
Souffrant, le visage très pâle, l’enfant répondit :
— J’ai mal à ma jambe…
Ti-Georges retira le lourd morceau de bois et le rejeta de côté. Avec douceur,
François-Xavier tâta le membre tordu. Jean-Marie ne put retenir un cri de
douleur et perdit connaissance.
Il reprit ses esprits bien longtemps après. Il fut étonné de ne pas reconnaître
tout de suite l’endroit où il était. Le visage de sa tante Julianna se pencha
sur lui et d’un doux sourire lui expliqua :
— On t’a installé chez nous. On t’a fait un lit dans notre salon pour pas que
tu aies trop chaud pis en plus, j’vas pouvoir prendre soin de toé. C’était plus
commode que de te transporter à votre ferme. Surtout avec les trous d’eau.
Jean-Marie releva un peu la tête et regarda sa jambe. Au bout de celle-ci, une
lourde chaudière en métal était suspendue. Julianna répondit à sa question
muette.
— C’est le ramancheux du rang trois qui a dit de faire ça. Ta jambe est cassée
pis si tu veux pas qu’a reste croche, y va falloir que t’endures ton cinq livres
de roches.
Marguerite arriva, le visage inquiet.
— Jean-Marie, t’es réveillé !
— Maman, ça fait mal, pleurnicha l’enfant.
Marguerite s’adressa à Julianna.
— Le médicament du ramancheux a pus l’air de faire effet…
Ti-Georges entra lui aussi dans la pièce, suivi d’Elzéar et de
François-Xavier.
— Un grand garçon de sept ans, ça chiale pas comme un bébé,dit-il d’un ton tranchant. Marguerite caressa tendrement les cheveux de son
fils en jetant un regard de reproche à son mari. Pourquoi celui-ci se
montrait-il si dur à l’endroit de son plus vieux ? Il n’avait jamais su comment
s’y prendre avec ses enfants… Ti-Georges était exigeant et voulait que tout soit
parfait, à commencer par ses fils. Marguerite soupira. Jean-Marie avait fait la
bêtise d’être maladroit. Georges ne lui pardonnerait pas, surtout s’il gardait
des séquelles de l’accident. La blessure n’était pas belle et on lui laissait
peu d’espoir de guérison complète… Elle reporta son attention sur son
fils.
— J’vas te préparer une autre potion, le consola-t-elle gentiment. Tu vas voir
quand tu vas l’avoir bu, ça va te rendormir.
— J’veux m’en aller chez nous, supplia le garçonnet.
François-Xavier intervint.
— Mon pauvre Jean-Marie, tu pourras pas bouger d’icitte avant au moins trois
semaines !
Elzéar qui n’avait pas osé dire un mot encore demanda :
— Trois semaines, c’est-tu long un peu ou c’est-tu long beaucoup ?
Julianna trouvait cet enfant de cinq ans adorable.
— Viens, dit-elle, j’ai cru entendre pleurer ton cousin, y doit encore avoir
faim.
La jeune femme quitta le salon, entraînant l’enfant par la main. D’un geste
discret,
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