La chapelle du Diable
remit sa casquette et
emporta son outil brisé dans le hangar. Demain, il verrait à remplacer le
manche. Cela, au moins, il pouvait le réparer.
— François-Xavier, il faut qu’on parle
— Tu vois ben que chus occupé, Julianna.
La jeune femme avait profité de la sieste de son petit Pierre et était venue
rejoindre son mari dans le hangar. Il était en train de réparer le manche de sa
pelle qu’il avait cassé la veille.
— Il faut qu’on parle de ce qui est arrivé avec Ti-Georges.
— J’vas aller m’excuser, Julianna. Je l’sais ben que j’ai pas été
correct.
François-Xavier continua sa réparation. Voyant que sa femme ne
semblait pas vouloir s’en aller, il la rabroua un peu. Il avait envie d’être
seul.
— Allez, retourne à maison. J’ai ben de l’ouvrage pour préparer l’hiver. Ça
sera pas évident de se débrouiller...
— C’est justement de ça que je voulais te parler. Y est pas question que je
passe l’hiver icitte !
François-Xavier délaissa ses outils et dévisagea sa femme. Son air buté en
disait long sur sa détermination. Elle reprit :
— La plupart des voisins s’en vont. En tout cas, ceux touchés gravement comme
nous autres. Ils ont accepté l’argent que la compagnie leur offre.
— Julianna, j’t’ai déjà dit que chus peut-être juste un pauvre p’tit colon,
mais j’ai ma fierté ! s’emporta-t-il. Ils calculent juste une partie des terres,
pas ce que la fromagerie m’aurait rapporté comme production si le niveau de
l’eau était pas si haut !
— Je sais tout ça, mais ce qui est fait est fait ! Tu videras toujours ben pas
le lac à’ p’tite chaudière !
— Y est pas question que j’abandonne, Julianna. Avec le comité de défense, on
va gagner, tu vas voir ! Tout va redevenir comme avant !
— Ben en attendant, on fait quoi ? C’est pus vivable icitte !
— J’sais que j’t’en demande beaucoup ma princesse, surtout avec un bébé
mais...
— Notre bébé, justement, tu y penses-tu ? J’ai toujours peur qu’il tombe
malade. Je fais bouillir l’eau pendant des heures !
— Je le sais, Julianna, t’as raison... mais c’est ma maison !
— Ti-Georges, y s’en va bientôt aussi. L’école a fermé, la seule sur les trois
qui reste ouverte est à l’autre bout, là où les gens ont eu le moins de
problème.
— Ti-Georges abandonne sa ferme ? fit François-Xavier, sidéré.
— Il a pas le choix. Il a pas réussi à avoir assez de fourrage pour nourrir les
bêtes cet hiver... Il vend les animaux pis il s’en va.
— Y accepte le règlement de la compagnie ? C’est pas
vrai...
— J’ai pas dit ça, François-Xavier. Il va aller au bout avec le comité, mais sa
famille passe avant tout, lui…
— Moé itou ma famille, j’y pense !
— Non, François-Xavier, toé tu penses à la fromagerie en premier... Je veux pas
passer l’hiver icitte.
— Y s’en vont où ?
— À Péribonka, chez le père de Marguerite.
— Oh, c’est la dernière place où j’pensais qu’y irait... Lui pis le bonhomme
Belley, c’est pas le grand amour...
— J’te dis que c’est pas de gaieté de cœur qu’il part. La pire, c’est
Marguerite. D’après ce que j’ai pu comprendre, a déteste son père...
Les yeux dans le vide, François-Xavier comprenait maintenant ce que son ami
était venu lui dire la veille.
— On est chanceux, reprit Julianna d’un ton empressé, on a la maison à
Roberval ! On pourrait s’en aller là en attendant ! Juste pour l’hiver,
François-Xavier, pour être en sécurité. C’est trop dangereux. La maison est
entourée d’eau. François-Xavier, j’ai peur quand les vagues viennent hautes !
Icitte, y a pus moyen d’avoir du lait ou des œufs, qu’est-ce qu’on va
manger ?
Larmoyante, elle le supplia.
— Juste pour l’hiver...
Son mari lui jeta un regard de bête blessée. Découragé, il accepta.
— On va s’en aller à Roberval vers le mois d’octobre… si la compagnie a pas
baissé le niveau de l’eau comme de raison… pis juste pour l’hiver,
l’avertit-il.
Julianna sauta au cou de son mari.
— J’ai déjà pas mal tout prévu pour le déménagement. La maison là-bas est
meublée, j’vas juste emmener le berceau de Pierre pis apporter mon
piano...
— Quoi ! le piano, y reste icitte dedans, le piano !
— Jamais de la vie, y passera pas
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