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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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l’affront. Elle prit sur elle. Relevant la tête, elle s’adressa
     au visiteur d’un air de princesse.
    — Monsieur Ouellette, j’vas aller voir si votre femme va bien, inquiétez-vous
     pas.
    François-Xavier reconnaissait là sa femme. Son fameux petit nez en l’air… Dieu,
     comme il l’aimait ! Il aurait voulu avoir le temps de lui dire qu’il regrettait
     ses paroles.
    — Julianna… commença-t-il.
    Sa femme lui jeta un regard froid et hautain. Sans un mot, elle se détourna et
     remonta à l’étage.
    François-Xavier soupira.
    — Allons-y, monsieur Ouellette, on a assez tardé.

    Jamais François-Xavier n’aurait cru être témoin d’un tel
     désastre. C’était l’apocalypse dehors. Il ne reconnaissait plus sa ville. Joe et
     lui s’étaient hâtés de bien attacher la grande barque de bois à l’envers sur la
     carriole après avoir pris la peine de cacher sous elle un long rouleau de corde
     et des couvertures. Le trajet prit le double du temps habituel. Les roues
     s’embourbaient dans le chemin détrempé. À tout instant, on devait débarquer et
     tasser de lourdes branches cassées qui bloquaient la route. La pluie ne
     diminuait pas et coulait le long de leur cou. Aucun chapeau, aucun manteau
     n’aurait pu la contrer tant elle tombait dru. Ils apportaient de l’aide aux
     nombreuses personnes en difficulté qu’ils rencontraient. Le soleil s’était levé
     mais les nuages étaient si épais, si noirs qu’il faisait encore sombre. Enfin,
     vers l’heure du midi, ils arrivèrent en vue du pont couvert à l’entrée de
     Saint-Méthode. Cependant, l’attelage ne put l’emprunter. Le niveau de la rivière
     qui bordait le village atteignait les bases de l’imposante structure de bois et
     tout portait à croire qu’elle risquait de se faire emporter. Les deux hommes
     débarquèrent et restèrent un moment sans voix devant ce désolant spectacle. La
     rivière Ticouapé, qui serpentait jusqu’au lac Saint-Jean, refoulait le
     trop-plein. Ils mirent la barque à l’eau et entreprirent de ramer à travers le
     village.
    Le spectacle était ahurissant et si étrange. Des débris flottaient, on
     reconnaissait un quai emporté, des branchages et même une table et des chaises.
     Alors que Joe expliquait dans quelle direction se situait la maison de sa fille
     et de son gendre, ils entendirent un appel à l’aide. Sans même se concerter, les
     deux sauveteurs ramèrent vers la provenance de ces cris de détresse.
    Sur le perron avant d’une maison, une jeune femme leur faisait de grands signes
     de la main. Agrippé à son cou, un petit enfant semblait mourir de peur.
    — Ah merci, mon doux Jésus, merci ! dit-elle en les voyant s’approcher.
    Elle était au bord de la crise de nerfs.
    Plus tard, bien à l’abri dans la chaloupe, elle se présenta. C’était une jeune
     veuve qui habitait seule avec son fils. François-Xavier eut le cœur serré en
     pensant à Julianna. Il espérait qu’elle était vraiment en sécurité dans la
     maison de Roberval. S’il fallait que les événements se gâtent ? Que l’eau monte
     encore plus ? Que le vent brise une fenêtre, blesse sa famille ? Il fit son
     possible pour chasser ces épouvantables images de son esprit. Il y avait tant à
     faire. Tant de gens à secourir… Des femmes en pleurs, il en vit bien d’autres.
     Des enfants apeurés, des hommes désemparés, des vieillards ébranlés… Tous
     étaient en état de choc, désorganisés, dépossédés.
    François-Xavier n’avait qu’une hâte. Celle de revenir auprès des siens et d’en
     prendre soin. Tel était son devoir, sa priorité : protéger sa famille, les
     rendre heureux. Il songea combien ces deux dernières années avaient dû être
     pénibles pour Julianna. En arrivant, dès qu’il aurait une chance, il discuterait
     avec elle. Peut-être avait-elle raison et qu’ils devraient aller retrouver
     Léonie à Montréal. Peut-être…

    Comme elle était inquiète ! La nuit était tombée et François-Xavier n’avait pas
     encore donné signe de vie. Madame Ouellette, qui était venue attendre avec elle
     le retour de leurs maris, priait avec ferveur, à genoux, devant le crucifix de
     la cuisine. Julianna tournait en rond, n’ayant le cœur à rien. La journée avait
     été interminable. Sa voisine n’était pas d’agréable compagnie… Dehors, les
     éléments se déchaînaient. Les heures avançaient et madame Ouellette

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