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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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de sa grossesse, on l’avait emmenée, sous un
     faux prétexte, chez une lointaine tante paternelle, qui vivait seule, isolée,
     dans un village perdu en haut du lac Saint-Jean. Elle y était restée en recluse,
     n’ayant pas le droit de sortir ni de parler à quiconque. Lors de l’accouchement,
     on n’avait pas fait venir de docteur et la jeune fille avait cru qu’elle allait
     mourir, elle qui était en travail depuis des heures. Sa tante ne lui parlait
     pas, ne la regardait pas et attendait en silence, assise bien droite sur une
     petite chaise, près de la porte, que sa nièce enfante. Dans la cuisine,
     Marguerite entendait son père se bercer, les patins de la chaise faisant un
     bruit régulier. Sa tante avait dû le prévenir de l’imminence de l’accouchement.
     Aucours de sa grossesse, Marguerite avait essayé de se confier
     à la femme. Mais celle-ci avait été très claire : elle l’hébergeait, la
     nourrissait, rien de plus. Elle avait reçu des ordres de son frère et elle
     obéissait. Marguerite se demandait bien ce que son père avait raconté à sa sœur
     pour expliquer l’état dans lequel elle se retrouvait. Probablement que
     Marguerite était une mauvaise nature et qu’un garçon du voisinage l’avait
     déshonorée. Quand, au milieu de la nuit, épuisée, presque inconsciente, elle
     accoucha enfin, sa tante coupa le cordon et appela son père. Elle dit à l’homme,
     sans émotion, que c’était une fille et, sans un mot, ni aucune douceur, lui
     tendit le bébé enroulé dans une serviette. Marguerite se rendit compte que
     celui-ci s’apprêtait à quitter la pièce avec son enfant. Elle murmura :
     « Non ! »
    Son père se retourna. Elle crut lire du remords dans les yeux de l’homme, ou
     peut-être était-ce ses propres larmes qui lui brouillaient la vue. Son père
     hésita un moment avant de retrouver la dureté de ses traits et de lui
     dire :
    — De toute façon, est morte, a pas survécu. J’vas aller l’enterrer.
    Et il disparut.
    Marguerite hurla de toutes ses forces. Elle avait vu sa petite fille bouger,
     elle n’était pas morte, elle en était certaine !
    Par la porte que son père avait laissée ouverte, elle le vit prendre une pelle
     qu’il avait dû placer là exprès. Comme dans un cauchemar, Marguerite n’eut aucun
     doute sur ce que son père s’apprêtait à faire. Elle réussit à sortir de son lit
     et, se tenant le bas du ventre, s’accrochant aux murs, elle se traîna
     littéralement à la suite de son père, la main tendue en implorant de lui
     redonner son bébé, mais elle était si faible... Une douleur l’avait saisie et,
     accroupie près de la porte d’entrée, elle hurla une dernière fois avant de
     s’évanouir. Quand elle se réveilla, elle était couchée en arrière de la
     charrette de son père. En silence, celui-ci conduisait le cheval sur le chemin
     du retour vers Péribonka. Marguerite avait regardé un instant la voûte céleste
     au-dessus d’elle. Il n’y avait pas un nuage et des milliers de petites lumières
     brillaient dansle ciel. Les étoiles s’étaient éteintes une à
     une aux yeux de l’adolescente. Marguerite n’avait plus vu qu’un immense dôme
     noir. Pour la jeune fille, le ciel porterait à jamais le satin noir du
     deuil...
    Son père ne la toucha plus…

    Cette journée avait été la plus longue et la plus éprouvante de toute sa vie,
     se dit François-Xavier en arrivant enfin à Roberval en pleine nuit. Il arrêta
     son attelage et, épuisé, rassembla son énergie afin d’aider ses passagers à
     descendre. Monsieur Ouellette, qui le suivait de près, lui fit un petit signe de
     la main et s’engouffra dans l’allée d’en face. Sa fille, son gendre et ses
     petits-enfants étaient entassés et serrés les uns contre les autres dans la
     charrette. François-Xavier, lui, ramenait la veuve et son fils rescapés ainsi
     que deux couples et leurs nombreux enfants. Il espérait que sa Julianna serait
     d’accord avec sa décision et qu’elle leur offrirait l’hospitalité.
    Sa femme marqua un instant de surprise de le voir arriver avec autant de monde,
     mais elle se dépêcha de les mettre à l’aise et d’assurer à ces pauvres gens aux
     traits tirés qu’ils étaient les bienvenus. Elle eut un sourire de connivence à
     l’adresse de son époux et se mit en frais d’installer le plus confortablement
     possible tout ce petit monde. Le salon se transforma en

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