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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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communiquait
     sa nervosité à toute la maisonnée. Même sa petite Yvette, âgée de deux mois,
     l’avait perçue et avait été agitée... Julianna laissa sa voisine entamer un
     nouveau Pater et alla se poster devant la fenêtre du salon afin de
     surveiller à nouveau la route. S’il fallait qu’il soit arrivé quelque chose à
     son mari. Julianna ne pouvait s’empêcher d’imaginerles pires
     scénarios : un arbre déraciné écrasant l’homme à mort ou encore la fureur du
     courant d’une rivière l’emportant à tout jamais loin d’elle. S’il fallait
     qu’elle ne le revoie plus ! S’il fallait que la dernière fois qu’elle lui ait
     parlé soit pour se disputer, que ses derniers souvenirs soient ces mots durs
     échangés...
    Elle revit la scène du matin. Elle était venue le rejoindre. Il avait passé la
     nuit en bas dans la cuisine à se morfondre. Elle s’était assise sur ses genoux,
     lui avait offert de venir la coller, de monter au lit ensemble, de profiter de
     ce que leurs enfants dormaient encore pour faire l’amour. Son mari l’avait
     repoussée. À ce souvenir, les larmes lui montèrent aux yeux. Peut-être ne
     l’aimait-il plus ! Qu’est-ce qu’elle allait devenir ? Tout à coup Julianna crut
     discerner un attelage arriver au loin... Ce n’était que l’effet de son
     imagination. Une plainte sortit de sa gorge. Elle eut envie de hurler, au bord
     de la panique ! Il était mort, elle le sentait ! Peut-être était-ce la fin du
     monde que Léonie annonçait tant dans ses dernières lettres ? Ils allaient tous
     mourir, ses enfants, tout le monde ! Elle pensa à Ti-Georges et à sa famille.
     Est-ce que l’inondation leur causait des dommages à Péribonka ? Étaient-ils en
     danger ?
    Madame Ouellette apparut à l’entrée de la pièce. Julianna se retourna vers la
     femme. Leurs maris étaient quelque part, dehors, dans la nuit, victimes de la
     tourmente, bravant le danger pour aider. Les regards angoissés des deux femmes
     se rencontrèrent. Elles se jetèrent dans les bras l’une de l’autre et se mirent
     à sangloter de peur. Impuissantes, elles se réconfortèrent mutuellement. Le
     malheur unit.

    Au contraire de Julianna, Marguerite était calme, malgré la tempête... qui lui
     déchirait les entrailles. Elle serra les dents. Elle était une silencieuse. Elle
     se disait qu’accoucher était un mauvais moment à passer. Elle préférait respirer
     le plus profondément possible et laisser le temps faire son œuvre. Elle
     n’admettait pas qu’on la touche etpersonne à part la sage-femme
     ou le docteur n’avait le droit d’entrer. Elle ne répondait pas aux questions et
     se murait dans sa souffrance. Son travail était toujours très long et ce nouvel
     accouchement ne faisait pas exception. Au début de la nuit, elle put prendre son
     nouveau-né dans ses bras. Après trois garçons, cela lui faisait drôle que
     celui-ci soit une fille. Elle détailla le petit visage chiffonné en lui
     cherchant un prénom. Cet hiver, Julianna lui avait lu toute sa collection des
     romans de la comtesse de Ségur. Elle repensa aux Malheurs de Sophie , son
     préféré. Sophie, la mal-aimée, la maltraitée mais qui avait fini par être
     heureuse. Sophie... Ce serait un nom parfait. « Sophie… quels malheurs
     t’attendent ma p’tite fille... »
    Elle aurait donné cher pour pouvoir être de retour dans sa maison de la Pointe
     et y voir grandir ses enfants. Il était si pénible de vivre ici dans la maison
     paternelle. Surtout après l’hiver passé avec Julianna à Roberval. Pour couronner
     le tout, son frère aîné, Paul-Émile, était de retour des États-Unis et venait de
     se réinstaller à la ferme. Il était parti plusieurs années afin de ramasser un
     peu d’argent. Marguerite s’était vite rendu compte que son frère aîné n’avait
     pas changé d’une miette et que la gentillesse ne faisait toujours pas partie de
     son caractère. Paul-Émile ne voyait pas d’un bon œil que sa sœur cadette et sa
     famille soient installées à demeure à la ferme. Il se faisait un malin plaisir
     de faire sentir à Ti-Georges qu’il n’y avait pas sa place. Il clamait qu’il ne
     resterait pas vieux garçon un été de plus, qu’il avait la ferme intention de se
     marier bientôt et de fonder, lui aussi, une famille. Marguerite se disait en
     elle-même que ce n’était pas demain la veille qu’une créature voudrait marier

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