La chapelle du Diable
réponse.
— La p’tite t’a réveillé ? demanda-t-elle en examinant les traits tirés de son
mari.
— Non, j’étais pas capable de m’endormir, avoua-t-il.
— Y va falloir que tu dormes ou tu vas tomber malade !
L’homme admira le tableau qu’offraient sa femme et sa fille. Il enroula une
mèche blonde autour de son doigt et murmura :
— Tu m’aimes encore ?
— François-Xavier... Même si je le voulais, je pourrais jamais arrêter de
t’aimer...
Elle lui sourit amoureusement.
— Écris à Léonie, dit-il. Si a l’est d’accord, on s’en va à Montréal.
Julianna resta sans voix. D’un ton las, son mari reprit :
— J’abandonne pas le comité de défense. J’me sus engagé sur les emprunts, mon
nom y est, pis j’vas m’y tenir. Mais après toute ce qu’on a enduré pis toute ce
que j’ai vu… J’veux qu’on soit heureux à nouveau, Julianna.
La jeune femme baissa les yeux, n’osant regarder son mari et y voir un démenti…
Comme si l’annonce de cette décision était fragile, ne voulant rien brusquer,
son bébé buvant toujours, elle demanda :
— T’en es ben certain ?
— Y a pas de barrage pis d’inondations à Montréal ? rétorqua-t-il
mi-sérieux.
Elle eut un petit rire cristallin.
— Pas à ce que je sache, non !
— Bon ben, Montréal, nous voici !
Julianna remit Yvette dans son berceau. Et tant pis si elle
n’avait pas fini et qu’elle rechignait. Il fallait qu’elle prenne son mari dans
ses bras, qu’elle roule avec lui dans leur lit, qu’elle l’embrasse de mille
baisers de remerciement, de reconnaissance, de joie, de bonheur…
— À Montréal, on va être heureux, tu vas voir ! Tout va s’arranger ! Oh mon
doux, y faut que je fasse une liste, les billets de train, les bagages... Ce
matin, j’vas envoyer un télégramme à marraine. Chus certaine qu’a l’a de
l’ouvrage pour toi au magasin.
Plus sa femme s’enflammait, plus François-Xavier sentait l’angoisse le
reprendre. Il eut envie de reculer, de revenir sur sa décision. Il sentait qu’il
allait le regretter. Mais Julianna était si heureuse. Il fit taire cette petite
voix défaitiste… et ferma les yeux sur cet avenir dont il n’avait pas
envie.
Julianna se tut subitement. Son mari s’était endormi.
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1 La reproduction intégrale du
discours du 11 novembre 1926 de monsieur Onésime Tremblay, au congrès de
l’Union Catholique des Cultivateurs de la province de Québec (U.C.C.) se
trouve en annexe et est tirée de l’ouvrage suivant : NÉRON, Gisèle et
SASSEVILLE, Véronique, Blessure d’une terre , Éditions du comité de
promotion de la Pointe-Taillon.
2 Sources : BÉDARD,
Jean-Thomas, Le Combat d’Onésime Tremblay , Office national du film du
Canada, 1985.
D EUXIÈME PARTIE
1934
A
ssis dans le fauteuil
de leur chambre à coucher, à moitié habillé, François-Xavier eut un soupir de
découragement. Il regarda sa femme se préparer pour leur sortie. Julianna était
si excitée. Ils allaient à l’hôtel Windsor assister à l’un des plus grands
événements de Montréal : le bal des petits souliers. Non pas comme simples
invités ! Julianna allait chanter pour le lieutenant-gouverneur ! Ce n’était pas
tout ! Leur fils de cinq ans, Mathieu, allait jouer au piano un air de sa
composition. Elle ne parlait plus que de cela depuis des semaines.
François-Xavier pensa à son troisième enfant. Il était né ici, en juin 1929, et
dès qu’il avait fait ses premiers pas, il s’était dirigé vers le piano. Henry,
qui était devenu un ami très proche de la famille, en était le parrain. Cela
avait été une idée de Julianna. Mathieu n’avait pas été leur dernier enfant, oh
non... Il y en avait encore eu deux autres après. François-Xavier soupira de
nouveau. S’habiller chic, se coiffer, faire des courbettes, danser... Il n’avait
pas envie de toutes ces simagrées. Il se leva et enfila la chemise blanche au
col empesé que sa femme avait soigneusement déposée sur le lit à son intention.
Aussi bien prendre son mal en patience. Après tout, ce bal des petits souliers
avait lieu pour une bonne cause. On organisait cette soirée afin d’amasser des
fonds en vue d’acheter des chaussures aux enfants pauvres de la ville.
— Jamais, tu m’entends, François-Xavier, jamais mes enfants vont se promener
nu-pieds ! Que des
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