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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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véritable dortoir, la
     plupart des réfugiés couchés sur une couverture pliée. Aidée des autres femmes,
     elle se mit à préparer une grosse chaudronnée de soupe. Cuisiner au milieu de la
     nuit, avec des inconnues, avait quelque chose d’irréel. Les enfants
     pleurnichaient dans le salon, les hommes étaient défaits... Julianna fit preuve
     d’ingéniosité et de débrouillardise. Elle n’avait pas assez de vaisselle pour
     tout ce bon monde, aussi servit-elle la soupe directement dans la grosse marmite
     et chacun y plongea sa cuillère. Se restaurer fit du bien à tous et calma les
     enfants. C’est bien connu, la faim amplifie le désarroi...
    On s’attroupa dans le salon. Les enfants s’endormirent, la tête
     sur les cuisses de leurs parents. La conversation des adultes porta bien entendu
     sur l’inondation. On raconta à Julianna l’enfer de cette journée. Des animaux
     piégés dans les étables, des vaches noyées, des meubles emportés, des maisons
     dévastées... Ils étaient sans abri, sans argent. Ces familles avaient tout
     perdu. On accusa le barrage et on maudit la compagnie. Puis il n’y eut plus de
     mots pour raconter cette tragédie. La jeune veuve caressa les cheveux de son
     fils. D’une voix douce, elle chanta une complainte qu’elle improvisa comme
     suit :

    À Saint-Méthode
    Petite paroisse tranquille
    Dans notre beau comté du Lac-Saint-Jean
    Loin du tapage de nos grandes villes
    Vivaient heureux quelque cent habitants.
    La terre était leur appui, leur soutien
    À leurs fils, ils devaient léguer leurs biens.
    Mais le barrage
    De la décharge
    Va leur enlever leur espoir de demain.
    Le lac Saint-Jean
    Gonflé par son écluse
    Déborde l’eau qu’elle ne peut contenir.
    Et le trop-plein que ses bornes refusent
    Revient chez nous et veut tout envahir.
    Adieu les jours de paix et de bonheur
    Il faut aller chercher refuge ailleurs.
    Plus de culture
    La vie est dure
    On nous enlève même tous nos labeurs... 2

    Sur la dernière note, plus un mot ne s’échangea. On était loin
     de se douter que ce triste air serait chanté dans les chaumières bien des années
     encore...

    Étendu sur le dos, François-Xavier n’arrivait pas à dormir. Pourtant, cela
     faisait deux nuits de suite qu’il n’avait pas fermé l’œil. Il était si épuisé
     qu’il était incapable de se laisser glisser vers le sommeil. Dans sa tête, les
     événements des dernières heures ne cessaient de défiler. Toutes ces familles qui
     essayaient de sauver des eaux quelques précieux souvenirs. Une valise contenant
     la robe de baptême familiale, une broche de mariage, des images saintes, un
     brassard de première communion. Les papiers importants du notaire, les actes de
     mariage, les actes d’achat, tout ce qui risquait d’être détérioré par l’eau.
     Mais ils n’avaient guère de place dans les embarcations et ils avaient dû
     refuser la plupart des malles remplies à ras bord des rares morceaux
     d’argenterie ou encore de nappes brodées. Combien de va-et-vient en chaloupe
     François-Xavier avait-il faits ? Il ne pouvait plus les compter. Ce désastre
     serait-il suffisant pour que la compagnie comprenne son erreur ? Probablement
     pas. Déjà, on disait que la compagnie niait toute responsabilité dans cette
     inondation. Il devait voir la réalité en face.
    Lovée contre lui, Julianna ronflait doucement. Elle avait été merveilleuse.
     Elle s’était jetée à son cou, manifestement soulagée de le revoir et, dans ses
     yeux, il avait lu tout l’amour qu’elle avait pour lui. Madame Ouellette s’était
     empressée de retourner chez elle.
    Julianna voulait retourner vivre à Montréal… Là-bas, elle et ses enfants
     seraient en sécurité. Rien ne fonctionnait ici. La compagnie avait ruiné leur
     vie. À côté du lit, dans son berceau, Yvette, qui grognait depuis quelques
     minutes, se mit à pleurer. Pour éviter de réveiller les pauvres familles
     réfugiées dans le salon, il se dépêcha de prendre dans ses bras sa petite fille.
     Réveillée, Julianna s’empressa dedéboutonner le haut de sa
     jaquette et d’offrir un sein à son affamé de bébé.
    — J’ai hâte qu’elle fasse ses nuits, chuchota-t-elle en bâillant. Il faudra que
     je demande à madame Ouellette de la virer à l’envers.
    — Quoi ? s’exclama son mari.
    Elle eut un drôle de petit sourire et se contenta d’un « Je t’expliquerai une
     autre fois » en guise de

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