La chapelle du Diable
croyaient ses proches, elle
gardait la plupart du temps les yeux fermés. Le curé était passé et lui avait
donné les derniers sacrements. Ses parents, son mari et ses enfants s’étaient
regroupés autour d’elle, agenouillés. Elle avait eu envie de hurler en entendant
son père réciter la prière, dire ces mots sacrés. Elle aurait voulu le montrer
d’un doigt accusateur et crier que c’était sa faute si elle était en train de
mourir. Il l’avait tuée. Sa maladie, ce cancer qui la rongeait, il en était la
cause ! Si au moins ils avaient pu rester sur la Pointe... Là-bas, elle avait su
se construire un abri. Mais ici, à Péribonka, sentir la présence de son père
tous les jours, la trahison desa mère qui ne l’avait pas
défendue, la peur que sa petite Sophie subisse le même sort... La cause de son
agonie se tenait là, à genoux. Hypocrite... Violeur, meurtrier... Maintenant, il
n’y avait que la promesse de la venue de Julianna qui la maintenait encore un
peu en vie. Marguerite espérait que sa belle-sœur accède à ses dernières
volontés. Elle n’avait qu’une demande, que Sophie, sa seule fille, ne soit pas
élevée dans cette maison. Il fallait que Julianna la ramène avec elle, il
fallait qu’elle l’éloigne de son père... qu’elle la sauve, elle.
Dans le train, Julianna était enfin parvenue à se taire. Sa tante ronflait
légèrement, les mains nouées autour de l’objet pieux. Elle-même n’était pas loin
de somnoler. Elle pensait de nouveau à ses enfants. C’est drôle, on rêve de
pouvoir juste souffler un peu, sans leurs cris, leurs chamailleries ou leurs
exubérances, mais dès qu’on se retrouve un peu seule, les pensées ne sont plus
que pour eux. Léonie lui disait souvent qu’elle les gâtait trop.
D’avoir dû les laisser derrière elle, même sous la bonne garde de Marie-Ange,
était presque insupportable. Elle avait une forte propension à toujours imaginer
le pire. Pierre heurté par une voiture dans la rue, Yvette ébouillantée dans la
cuisine, Mathieu étouffé par un quelconque objet, Laura terrassée par la
fièvre... Puis elle pensa à son mari. Elle s’ennuyait déjà de lui et redoutait
les nuits solitaires qui l’attendaient. François-Xavier… Elle avait cru que leur
nouvelle vie à Montréal leur apporterait le bonheur, mais cela ne se passait pas
ainsi. Ils se disputaient si souvent. Elle voyait bien qu’il était malheureux.
Plus il arborait un visage fermé, plus elle essayait d’être exubérante et cela
ne faisait qu’empirer les choses. Elle ne savait plus quelle attitude adopter
envers lui. Si elle minaudait, il la repoussait les trois quarts du temps. Elle
le confrontait ? Il fuyait. Alors, elle jouait à l’indifférente, mais il
semblait fort bien s’en accommoder. La seule chosepour laquelle
il semblait démontrer de l’intérêt à Montréal était d’aller au hockey avec
Henry. Elle les revit, en 1930, bras dessus bras dessous, un peu ivres, revenir
d’un de ces matchs et lui décrire, en parlant en même temps, des périodes de jeu
mémorable, des passes rusées, des buts spectaculaires, des coups de patin
rapides et de force du poignet incomparables ! Ils avaient chanté la victoire de
leurs Canadiens et de leur troisième coupe Stanley, ridiculisé la défaite de ces
affreux Bruins de Boston. Pendant des jours on n’avait plus entendu parler que
de Howie Morenz et d’Aurèle Joliat ou encore de ce Georges quelque chose, dont
Julianna n’avait pu retenir le nom bizarre. Elle se souvenait de la date, car
c’était la même que celle du décès de son idole, Emma Lajeunesse. Sa chère
Albani était morte ce 3 avril 1930. Pendant qu’une équipe de hockeyeurs élevait
les bras en l’air en signe de victoire en l’emportant 4 à 3, leurs adversaires,
défaits, affichaient la mine d’enterrement qui aurait été de mise pour l’Albani.
Cher Henry... Il faisait presque partie de la famille maintenant. Averti de leur
déménagement à Montréal, il s’était empressé de venir les saluer. Et depuis, il
ne se passait guère de semaine sans que l’avocat ne vienne faire son tour.
Léonie et Marie-Ange le traitaient comme leur propre fils. C’était « mon petit
Henry » à tour de bras, comme s’il ne mesurait pas au moins six pieds. Julianna
ne comprenait pas toujours les motivations du jeune homme
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