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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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ne semblait attacher aucune importance
     à son récent veuvage. Elle disait : « Le bonhomme est mort, que le diable
     l’emporte, y mettait pas d’eau dans sa boisson pis que le curé vienne pas
     m’empêcher de danser ! » À ces paroles, Léonie s’étouffait de honte. La tante
     croyait que ce genre de propos entraînerait la punition divine sur leurs têtes !
     Marie-Ange lui répliquait : « Voyons donc matante, lâchez-moé vos
     bondieuseries ! » et Léonie rougissait de plus belle.
    Quant à savoir si ses enfants lui manquaient, elle rétorquait : « J’en ai pas
     un qui est resté au Canada. Y sont tous partis s’établir aux États-Unis. C’est à
     peine si je reçois une lettre par année. Un jour j’irai les visiter… peut-être.
     En attendant, je peux enfin penser à moé ! »
    Ah, Marie-Ange et son franc-parler, sa bonne humeur, sa personnalité unique,
     ses accoutrements... Elle portait un drôle de chapeau si laid qu’il en était
     beau, comme elle disait en parlant de son bibi : « ça m’a pris des années pour
     le mouler à la mesure de ma tête, pas question que je me renferme le génie dans
     un nouveau chapeau pas cassé ! » Ce n’était pas par obligation qu’elle avait
     écrit à sa tante préférée afin de lui demander l’hospitalité. Elle avait une
     petite rente et possédait quelques économies. Non, c’était tout simplement parce
     que la femme de Chicoutimi rêvait de venir vivre à la grande ville, la vraie,
     pas Québec mais Montréal. Depuis son arrivée, elle s’émerveillait de tout ce
     qu’elle découvrait. Elle emmenait les enfants en promenade, allait dans les
     grands magasins, prenait le char électrique et s’impliquait dans toutes sortes
     de réunions et d’organismes de bienfaisance.
    Elle adorait La Bolduc, idolâtrait Thérèse Casgrain et pestait contre
     Taschereau qui ne leur donnait pas le droit de vote quand, partout ailleurs, les
     femmes le détenaient. « Chère, chère Marie-Ange, se dit Julianna en souriant
     pensivement, ton prénom te va si bien... »
    — Allez on va être en retard, dit Julianna en sortant de sa rêverie et en
     mettant une touche finale à son maquillage.
    Se tournant vers François-Xavier, elle dit d’un ton sec :
    — T’aurais pu éviter d’aller te promener aujourd’hui. Je t’avais dit qu’y
     fallait qu’on arrive au bal en avance pour faire pratiquer Mathieu ! Ben non, y
     fallait que monsieur fasse à sa tête...
    Sa femme lui reprochait si souvent ses escapades quotidiennes. Elle n’aimait
     pas qu’il disparaisse ainsi. François-Xavier avait pris l’habitude d’aller se
     promener au port de Montréal. Là, il pouvait rester des heures à regarder le
     va-et-vient des marins et des travailleurs.
    Pauvre Julianna, si « monsieur » avait vraiment fait à sa tête, il ne serait
     pas là ce soir. Il serait en train de naviguer vers un autre pays… Loin de
     toutes ses responsabilités, loin de ses échecs. Parfois, il se rendait sur la
     jetée Victoria, jusqu’à la tour de l’horloge. Il longeait le haut mur qui
     reliait la grande tour à une autre plus petite et il restait là, à l’abri, à
     regarder l’activité sur le pont du Havre qu’on parlait de rebaptiser le pont
     Jacques-Cartier. De là, son regard se tournait vers l’horizon. C’était sa bouée
     de sauvetage. On aurait dit que la légendaire exactitude de l’horloge lui
     apportait un peu de sécurité dans sa vie. Tant que cette grande tour carrée se
     tiendrait là, droite, François-Xavier avait l’impression que le monde
     continuerait de tourner. Cette tour lui rappelait celle de son château,
     abandonnée sur la Pointe. Il aurait tant aimé y grimper encore, s’y
     réfugier…
    Il se sentait si perdu dans cette grande ville. Il était un orphelin dans tous
     les sens du terme. Orphelin de père, de mère, de patrie. On disait que la peine
     s’estompait avec les années, il était la preuve vivante que cette affirmation
     était un pur mensonge. Il y avait cette envie irrépressible qui le prenait de
     s’embarquer sur un bateau, n’importe lequel, et de partir, loin, très loin. Il
     voulait faire comme bien des hommes découragés et fuir la misère de Montréal
     sauf que lui, c’était à son âme misérable qu’il voulait échapper... Il portait
     sur lui ses deux biens les plus précieux : la lettre de sa mère Joséphine, bien
     pliée dans un étui de

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