La chapelle du Diable
nus et
en jaquette, elle s’était dépêchée d’aller voir ce que son père lui voulait. Il
allait réveiller ses petits frères et sœurs s’il continuait à beugler son prénom
ainsi ! En passant devant lachambre de ses parents, elle avait
chuchoté à sa mère de se rendormir. Sa chère maman était si fatiguée. Elle se
privait, Rolande le savait bien, et elle acceptait tous les ouvrages qui lui
tombaient sous la main. Elle avait encore dû coudre jusqu’aux petites heures de
la nuit. En bâillant, Rolande était descendue. C’était presque l’aube. Elle
avait été surprise quand elle s’était rendu compte que son père n’était pas
seul. Un homme dans la trentaine se tenait à ses côtés et la détaillait d’un air
intéressé. Les yeux de l’inconnu s’étaient attardés sur sa jeune poitrine comme
jamais on ne l’avait fait. Mal à l’aise, elle avait croisé instinctivement les
bras et demandé à son père ce qu’il voulait.
— Rolande, j’te présente monsieur Paul-Émile Belley.
Son père avait la voix pâteuse et son élocution était difficile.
Un silence gênant s’était installé.
— Monsieur, avait salué enfin timidement Rolande.
— Retourne dans ton lit astheure, lui avait-il ordonné.
Rolande n’avait rien compris à ce manège. Elle était remontée à l’étage tout en
tendant l’oreille pour saisir la conversation entre les deux hommes.
— Pis, ça fait-tu votre affaire ? s’était impatienté le père de la jeune
adolescente.
Paul-Émile avait sorti une liasse de billets de son portefeuille.
— La moitié comme convenu, avait-il dit. L’autre quand j’vas revenir le mois
prochain.
Rolande s’était recouchée et les voix s’étaient estompées. Elle ressentait un
certain malaise mais son père n’en était pas à ses premières frasques. Elle ne
s’était pas rendormie ce matin-là, tournant dans sa tête ce bizarre incident.
Les jours suivants, sa mère fuyait son regard et affichait une triste mine. Son
père, au contraire, était de bonne humeur. Le loyer avait été payé. Un soir,
Rolande avait demandé à sa mère ce qu’elle cousait.
— C’est une robe pour ton mariage.
Rolande était restée sans voix.
Elle avait eu beau pleurer, son père, sa mère et une voisine
l’avaient menée à la petite église du coin... hier... hier matin... un semblant
de robe de mariée sur le dos, sa mère n’ayant eu ni le temps ni les moyens de
faire des miracles. Hier... Elle était si jeune. Hier... Paul-Émile Belley,
prenez-vous cette femme... Hier... Personne ne lui avait souhaité un bon
anniversaire... Hier, elle avait eu 15 ans.
Avec précaution, Ti-Georges avait transporté Marguerite dans ses bras et
l’avait déposée au fond de la brouette que Julianna avait pris la peine de
recouvrir d’une couverture en plus d’y mettre un oreiller. Ti-Georges poussa sa
femme, encadré par Jean-Marie et Elzéar qui surveillaient le ballant du véhicule
improvisé, sur un petit chemin qui serpentait le long de la grange des Belley.
Ils s’éloignèrent de la ferme et se dirigèrent vers la forêt. Julianna suivait,
un des jumeaux dans les bras, à côté de Léonie qui portait le frère identique.
Sophie gambadait en tenant un panier en osier dans ses mains. Delphis et Samuel
se chamaillaient avec un bâton. Marguerite souriait de bonheur. Léonie l’avait
coiffée et lui avait enfilé, à sa demande, une jolie robe de coton fleuri, très
démodée, mais que la malade affectionnait particulièrement. Le visage de
Ti-Georges était tout enflé de la récente bagarre avec son beau-frère, pourtant
l’homme était quand même rayonnant. Cela lui avait fait le plus grand bien de
cogner ainsi sur cet imbécile de Paul-Émile ! Marguerite avait tout voulu savoir
des détails de l’altercation. Julianna la lui avait résumée tout en lui
promettant de n’omettre aucun détail plus tard. Malgré qu’ils n’aillent pas très
loin, elle ne voulait pas s’attarder. Quand Julianna lui avait confié ce qu’elle
avait imaginé pour réaliser son souhait, Marguerite avait applaudi comme une
enfant. Elle trouvait le projet merveilleux ! À l’aide d’un dessin, elle avait
désigné à Julianna et à Ti-Georges, l’emplacement idéal.
Sous un superbe soleil, la drôle de procession continua son
parcours. Marguerite avait les yeux brillants
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