La chapelle du Diable
garder leurs provisions au frais, ils
avaient creusé un grand trou qu’ils avaient tapissé de mousse, que Delphis avait
pour tâche d’humecter régulièrement. Dans un autre grand trou, dans le coin
sableux, avait été déposée une marmite remplie de fèves au lard. Le couvercle
bien en place, elle avait été enterrée sous un feu de braise, qu’on avait
entretenu pendant toute la nuit et une partie de la journée du lendemain. Quel
délice lorsqu’ils avaient sorti de terre la marmite fumante et qu’ils avaient
dégusté ces bines . Dans un coin du ruisseau, celui bien à l’ombre toute
la journée, avait été calé un bidon de lait. Julianna et Léonie cuisinaient des
mets simples mais les enfants avaient l’impression de festoyer à tous les
repas.
La troisième journée, une grande surprise arriva. La mère de Marguerite, suivie
de la timide Rolande se présentèrent au campement, portant à elles seules une
grosse malle. Elles jetèrent un coup d’œil sur l’installation du groupe, puis
elles déposèrent la lourde malle par terre et l’ouvrirent. Sans un mot, madame
Belley en sortit des tartes, des pots de confiture, du miel, du pain frais, deux
poulets rôtis ainsi qu’un gros jambon. Elle se releva et regarda son unique
fille. Marguerite sourit tendrement à sa mère. Madame Belley s’approcha d’elle.
Elle hésita, semblant vouloir dire quelque chose.Cependant,
elle se détourna de la malade, hocha la tête à l’endroit de Julianna avant de
quitter la clairière sans un seul mot. Rolande avait tout déposé le butin sur la
table de pique-nique artisanale et resta un moment à se frotter les mains sur le
tablier recouvrant sa robe de cotonnade. Elle avait les cheveux coiffés et
Julianna se dit que la jeune fille était vraiment jolie. Et à en croire le
visage rougeaud de son neveu Jean-Marie, celui-ci l’avait remarquée aussi.
Julianna alla au devant d’elle.
— Bonjour Rolande, moé c’est Julianna.
— J’sais.
— Y faudrait mettre quelque chose là-dessus, dit Julianna en désignant les
victuailles, sinon les mouches vont tout manger avant nous autres mais je ne
vois pas quoi…
— J’y ai pensé, répondit avec fierté la jeune fille.
Rolande alla prendre une grande nappe au fond de la malle. Les deux femmes
l’étendirent soigneusement sur les plats.
— Madame Belley, a dit de venir tous les jours voir qui vous manque rien.
— C’est gentil. Tu diras un gros merci à ta... belle-mère.
Il était difficile pour Julianna d’imaginer cette jeune fille mariée à
Paul-Émile... Julianna se promit d’être davantage attentive à François-Xavier.
Elle se rendait compte qu’elle était privilégiée d’avoir marié un si bon gars.
Sa présence lui manquait beaucoup. Elle se demanda ce qu’il était en train de
faire. Elle était à mille lieues de se douter que son mari était en chemin et
qu’il débarquerait au campement, dans la soirée, éclairé par un fanal et escorté
par Rolande.
Quelle joie Julianna ressentit quand l’ombre s’avança à la lumière du feu de
camp et qu’elle reconnut son mari ! Sans pudeur, elle se jeta à son cou. Sa
surprise fut encore plus grande quand elle se renditcompte
qu’il n’était pas seul. Cher Henry, il avait une drôle d’allure, dans la forêt,
tiré à quatre épingles comme à son habitude. Jean-Marie se fit un plaisir de se
sacrifier afin de raccompagner Rolande à la ferme. À la déception de
l’adolescent, son jeune frère Elzéar tint à être de la partie. Une chance que le
sentier était bien marqué.
On expliqua aux deux nouveaux venus la raison de cette vie à la belle étoile.
Autour du feu, on chuchota pour ne pas réveiller Marguerite et les petits,
endormis dans la tente principale. Quand Julianna demanda ce qu’Henry venait
faire ici, celui-ci jeta un drôle de regard à François-Xavier. Son mari lui fit
signe de ne pas insister. Avec résignation, il attaqua le sujet tant
redouté.
— Henry pis moé, on a une ben mauvaise nouvelle à vous annoncer... Londres veut
rien faire pour nous autres.
— La cour de Londres, a l’a donné sa réponse ? demanda Ti-Georges.
— La compagnie a gagné... On a pus aucun recours.
Un lourd silence suivit cette déclaration.
D’une sombre voix, François-Xavier reprit.
— Non seulement on aura pas une cenne, mais y faut tout payer les dettes
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