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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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deux coqs face à face,
     en tournant lentement.
    — T’es rien qu’un maudit p’tit baveux, Georges Gagné.
    — C’est mieux que d’être un sans dessein comme toé, Paul-Émile Belley.
    — Tu pensais ben pas que j’te laisserais mettre la main sur ma terre ? Ça
     aurait fait ton affaire hein que j’revienne pas dans le boute ?
    — J’en veux pas de votre maudite terre de roches !
    — Voyez-moé qui c’est qui lève le nez sur notre terre ! T’as pas unemaudite cenne qui t’adore... T’en es rendu à demander la
     charité. Toé, la sœur pis vos sept morveux, on a assez perdu d’argent à vous
     nourrir.
    — On a travaillé pis sué sang et eau sur votre ferme pour pas un sou !
    — Travaillé ! La sœur, a fait rien pantoute, a sait juste rester couchée.
    — Maudit innocent... C’est pas pour rien qu’y a pas une maudite femme qui
     voulait de toé. T’as ben pu aller te marier avec une enfant. Tu l’as volée ou
     t’as payé son père ?
    — T’es jaloux... T’aimerais ça coucher avec ma Rolande, hein ? J’ai vu comment
     tu l’as zieutée, tantôt. C’est pus la sœur qui a quelque chose
     d’intéressant...
    C’en fut trop. Ti-Georges attaqua le premier et visa de toutes ses forces le
     visage de Paul-Émile. Celui-ci ne put éviter le coup mais riposta rapidement. La
     rage de Ti-Georges lui donnait un indéniable avantage. Aveuglément, celui-ci
     cognait et c’est à peine s’il ressentait les coups en retour. Il frappait sur
     toutes ces dernières années, sur la maladie de Marguerite, sur la honte qu’il
     avait d’avoir tout perdu, sur les non-dits de cette famille qui rendaient sa
     femme si malheureuse... Il frappait, les poings fermés si fort qu’il ne put
     déplier ses doigts pendant des jours par la suite ; il frappait, il voyait si
     rouge, rouge sang.
    Ce fut monsieur Belley qui mit fin à la bataille. Il était bâti comme un bœuf
     et il n’eut pas grand mal à soulever un gros baquet d’eau de pluie qui était sur
     le côté de la maison et à en asperger les deux ennemis. La douche d’eau froide
     calma les esprits. Essoufflés, les deux belligérants se penchèrent chacun sur
     leurs cuisses, reprenant leur souffle. Paul-Émile s’essuya le nez ensanglanté de
     sa manche.
    — Rentre dans maison avec ta femme pis va l’installer, lui ordonna son
     père.
    — Mais son père...
    Monsieur Belley prit son fils par le collet et l’ébroua comme un chien
     trempé.
    — T’en as assez fait pour aujourd’hui, rentre j’t’ai dit.
    Le père fit signe de lever la main sur son fils. Celui-ci eut un réflexe de
     peur et, l’espace d’un instant, Julianna vit vraiment l’image d’un petit garçon
     qui plie devant son père.
    — J’ai parlé.
    Il relâcha son fils qui tomba assis par terre.
    — Pis toé, continua monsieur Belley en s’adressant à Ti-Georges, emmène
     Marguerite où tu veux, mais vous êtes ben mieux de pus jamais remettre les pieds
     icitte dedans par exemple.
    — On aurait jamais dû y mettre un orteil ! marmonna Georges.
    Paul-Émile se releva, lança un dernier regard furibond à son beau-frère et
     attrapa Rolande par le bras.
    — Viens, toé, envoye en dedans pis tu vas m’ôter tout ce linge-là, t’as l’air
     d’une vraie folle.
    Sans ménagement, la jeune fille dut rentrer elle aussi. Rolande eut tout juste
     le temps de jeter un regard d’admiration à Ti-Georges. Comme le reste du groupe,
     elle avait assisté à la bataille sans rien dire. Elle avait aimé chaque coup que
     ce Georges avait porté à celui qu’elle avait été obligée de marier la veille.
     Ils étaient si pauvres chez elle, et on n’arrivait pas à nourrir les plus
     petits. Sa famille vivait dans un minable logement de la basse ville de Québec
     au loyer impayé depuis des mois. Son père avait rencontré à quelques reprises ce
     Paul-Émile à la taverne du coin. Dans ce repaire, l’alcool prenait rapidement
     possession du dernier dollar de l’aide aux chômeurs. Paul-Émile y descendait une
     fois par mois environ pour aller brasser des affaires, disait-il. C’étaient
     plutôt les filles de mauvaise vie qui se faisaient brasser. Mais cela, Rolande
     ne le savait pas. Tout ce qu’elle savait, c’était que son père était rentré une
     nuit à la maison, éméché, et qu’au pied des escaliers, il s’était mis à
     l’appeler bruyamment. Tout endormie, elle était sortie de son lit. Pieds

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