La chapelle du Diable
d’excitation. Ils bifurquèrent et
empruntèrent un autre sentier qui s’enfonçait dans les bois. On devait souvent
arrêter la brouette pour aplanir le chemin ou contourner une roche. Ils
avancèrent ainsi un bon bout de temps, puis Julianna entendit le bruit annonçant
qu’ils approchaient de leur destination. Un ruisseau coulait près de là.
Ti-Georges arrêta la brouette. Il s’épongea le front. Marguerite le regarda avec
affection. Pour la première fois, elle ressentit pour lui quelque chose de plus
profond. Il s’était battu pour elle, avait défié son père… Elle se dit qu’il
était bien dommage qu’elle découvre ses sentiments envers son mari si tard. Elle
avait été aveuglée par sa souffrance.
Jean-Marie demanda à sa mère de fermer les yeux. Celle-ci obéit. L’équipée
reprit sa marche. Juste un dernier tournant et Marguerite eut la permission de
regarder. Une surprise de taille l’attendait. Au centre d’une grande clairière,
près du cours d’eau, un campement était érigé. Deux grands abris de grosse toile
montés selon les tipis indiens étaient dressés côte à côte. Les enfant crièrent
de joie et s’élancèrent explorer leur royaume des bois.
— C’est donc beau ! s’exclama Marguerite. Pis vous avez pensé à toute !
dit-elle en montrant le coin pour cuisiner.
Une grosse marmite était accrochée à l’extrémité de deux planches
entrecroisées. À côté, un large panneau de bois reposait sur deux grosses bûches
et servait de table. Autour, deux longs bancs construits selon le même principe.
Cette cuisine en plein air était protégée des intempéries par une grande toile
cirée attachée à quatre piquets. Ti-Georges prit sa femme dans ses bras et lui
demanda gentiment :
— Ça va ? T’as pas été trop bardassée ?
— Non, non, tout va bien. J’vas marcher.
Marguerite sourit à son mari. Elle se sentait comme une jeune mariée dans ses
bras. Elle ne le reconnaissait plus. Il lui adressait la parole sur un ton
gentil, il était prévenant et aimant. Il lui fallaitêtre
mourante pour avoir droit à ces douces attentions.
— Aide-moé, j’veux voir en dedans des tentes.
Ti-Georges la soutint par un bras. Elzéar s’empressa au devant de sa mère et
servit de guide. Entrouvrant le panneau d’une des tentes, le jeune adolescent
expliqua :
— Vous voyez, maman, on a fait des planchers pour pas que vous dormiez à la
fraîche pis on vous a fait un lit avec une épaisse paillasse. Pis c’est assez
haut pour se tenir deboute. Pis là vous avez un pot de chambre, pis une p’tite
table...
— Vous avez travaillé fort... commença la malade. Merci ben gros,
Julianna.
— Moé, tu sais, j’ai juste eu l’idée. En regardant la forêt, j’me suis souvenue
qu’un jour tu m’avais dit que tu devais avoir du sang indien dans les veines
certain pour aimer être dans le bois de même.
— C’est vrai, admit Marguerite. J’adorais venir ici.
Qui n’a pas besoin d’un jardin secret ? Un coin où mettre à l’abri son cœur,
son esprit ? Pour certains, c’est un endroit dans la forêt, pour d’autres, c’est
un banc d’église, le sommet d’un rocher ou le bord d’un lac. Si la négligence,
le manque de temps, la maladie prive un individu de cet endroit, il n’est pas
rare qu’il voie son âme se ternir, s’abîmer ou se perdre…
— Tout le monde a fait une grosse part, continua Julianna. Une chance parce que
je connais pas grand-chose au bois, à part qu’y a des arbres qui poussent
dedans.
Ti-Georges surenchérit.
— La p’tite sœur de la ville, est ben bonne pour avoir des idées, mais pour le
reste... Si on l’avait écoutée, on aurait construit un hôtel dans cette
forêt !
— Ben là, exagère pas ! s’offusqua Julianna.
— Ah non ? Pis qui voulait qu’on transporte un poêle à bois
jusqu’icitte ?
— Ben je savais-tu moi comment on allait faire à manger !
Marguerite intervint.
— Assez de chicane pour aujourd’hui, vous trouvez pas ? Mon pauvre mari, ton
œil commence à virer noir déjà.
En grimaçant, Ti-Georges se toucha le visage du bout des doigts.
— En tout cas, merci ben gros à tout le monde, dit Marguerite.
Sans aide cette fois, elle s’éloigna de la tente à pas lent. Elle s’appuya sur
le tronc d’un maigre bouleau, face au ruisseau. Les enfants se regardèrent. Ils
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