La chapelle du Diable
avait laissé un compte en banque bien rempli à sa veuve.
Évidemment, tout de suite, ses beaux-parents réclamèrent sa présence, lui
faisant savoir qu’il était de son devoir de revenir auprès d’eux. Mais Rolande
déclara que, si cela faisait toujours le bonheur de Marguerite, elle préférait
demeurer à Saint-Ambroise pour aider, ce à quoi l’intéressée avait vivement
répondu oui. Avec Ti-Georges, Rolande se rendit en ville régler tous les détails
de la succession. Sage, elle plaça tout son argent à la banque sauf un montant
déterminé à l’avance qu’elle dépensa la journée même. Elle fit arrêter son
beau-frère au magasin général et acheta un cadeau pour chaque membre de la
famille. Une chemise et un livre à Jean-Marie, des cigares à Georges, une canne
à pêche toute neuve pour Elzéar, deux camions pour les jumeaux, une poupée pour
Sophie, un assortiment de crayons de couleurs pour Delphis et un jeu de soldats
pour Samuel. Pour Léonie, son choix se porta sur un beau chapelet et pour
Marguerite, un parfum. Elle ne s’oublia pas. Elle s’acheta une jolie robe et un
manteau assorti et, pour retenir sa lourde chevelure d’ébène, un joli peigne
qu’elle paya une fortune.
Marguerite et les enfants lui firent des compliments toute la semaine sur sa
beauté. Elle était une jeune fille vaillante et efficace. C’était si beau de la
voir s’épanouir. Elle chantonnait, souriait, elle n’avait plus rien à voir avec
la créature timide du début. Elle continuait à rougir de rien et
les taquineries de Ti-Georges la faisaient immanquablement piquer du nez, mais
jamais sans un petit sourire en retour et dans les yeux un éclat de bonheur.
Jean-Marie avait refusé de retourner à l’école. Cela fit bien l’affaire de son
père car l’ouvrage ne manquait pas. Cet automne-là, jamais Jean-Marie n’avait
autant travaillé physiquement, et l’adolescent se transforma en homme. Un matin
de novembre, il revenait de l’étable quand il découvrit Rolande à moitié
habillée, en train de vomir, sur le côté de la maison, appuyée sur le mur.
Jean-Marie se précipita vers elle.
— Non, non laisse-moé, lui demanda Rolande en essayant de reprendre sur elle.
Ça va passer, j’veux pas que tu m’voies de même.
Jean-Marie refusa d’obéir et s’approcha doucement de la jeune fille. Il sortit
un mouchoir de sa poche et tendrement le lui tendit. Elle s’empara du bout de
tissu et s’essuya la bouche. Elle prit une grande respiration et releva la tête.
Jean-Marie retira sa veste et en recouvrit Rolande.
— Tu vas prendre froid. Tu devrais rentrer.
— J’ai dû manger quelque chose de pas bon... J’sais pas ce que j’ai à être
malade de même tous les matins.
Jean-Marie avait sa petite idée, il avait été assez témoin des mêmes malaises
chez sa mère. Et probable que Rolande se doutait aussi de la cause de ces
nausées. Il y a des choses qu’on préfère ne pas voir et être enceinte de son
défunt mari était la dernière réalité à laquelle une jeune fille de quinze ans
devait vouloir faire face.
— Tu devrais parler à maman, lui conseilla Jean-Marie.
— J’veux pas l’inquiéter avec ça. Sa santé est moins bonne de ce
temps-ci...
— Parle à maman.
Rolande fit un petit sourire au sérieux jeune homme et rentra dans la maison.
Jean-Marie resta immobile. Il n’eut pas le courage de la suivre. Il retourna à
l’étable. C’était trop pour lui. Tous ses sentiments étaient un tourbillon. Il
rêvait jour et nuit à Rolande. Il ne savaitcomment se sortir de
cette situation. Il se disait que le temps allait passer, qu’il allait vieillir,
qu’il pourrait la courtiser… Il tournait tout cela dans sa tête. Il ne pouvait
songer à se marier. Qu’aurait-il pu lui offrir ? S’ils avaient possédé encore la
demeure familiale de la Pointe, en tant que fils aîné, son avenir aurait était
assuré. Jean-Marie avait pensé partir faire fortune aux États-Unis comme son
oncle Paul-Émile. Si Rolande attendait un enfant, cela changeait la donne...
Qu’est-ce qu’il allait faire ?
C’est vrai que Marguerite avait perdu à nouveau la santé. La maladie revint à
la charge encore plus terrible qu’avant et hélas, les premiers jours de
décembre, Marguerite sentit venir la fin. Elle demanda à embrasser chacun de ses
enfants, dit adieu à Rolande,
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