La chapelle du Diable
Marguerite, merci ben gros... J’savais pas ce que
j’deviendrais...
Rolande hésita puis se permit d’embrasser sa belle-sœur sur la joue,
tendrement.
— Jean-Marie, monte la valise de ta tante pis montre-lui sa chambre, celle de
Léonie, ordonna Marguerite.
Rolande sourit au jeune homme qui attendait, timide. Ils montèrent à l’étage.
L’appellation de tante résonnait encore dans la tête de l’adolescent. C’était
bien là la dernière façon dont il voyait Rolande, comme une tante. Elle était ce
qu’il y avait de plus joli au monde ! Jean-Marie redressa les épaules et essaya
de ne pas montrer la légère claudication qu’il avait gardée de sa jambe cassée.
Il détestait boiter ainsi. L’handicap était léger, mais pour lui cela semblait
énorme. Il ne voulait pas passer pour un infirme. Il déposa la valise par terre
et se redressa, tellement droit que le dos allait lui casser. Il fit jouer ses
muscles.
— Bon ben voilà. Si j’peux faire que’que chose pour vous...
— Euh, merci... Jean-Marie. Tu pourrais me dire tu et m’appeler Rolande. On est
presque du même âge.
Jamais personne ne lui avait donné des papillons rien qu’à prononcer son
prénom.
Jean-Marie redescendit à la cuisine, encore tout étourdi du choc. Sa mère
l’interpella mais il ne l’entendit même pas. Il se rendit dehors pour prendre
soin de l’attelage. Ce jour-là, il brossa si longuement la jument qu’Elzéar
dirait plus tard que son frère avait tant flatté la jument grise que celle-ci
brillait dans le noir.
Les feuilles changèrent de couleur et n’eurent pas le temps de
tomber avant la première neige d’un hiver précoce. Le sol blanc et les arbres
orangés offraient un contraste étrange. La famille Gagné avait retrouvé le
bonheur. Léonie était si bien. Maintenant que Rolande habitait avec eux, la
jeune fille faisait le plus gros de l’ouvrage. Ainsi, Léonie avait le temps de
s’attarder au village. Elle attelait sa jolie petite pouliche personnelle dont
elle avait récemment fait l’acquisition et elle partait en direction de la rue
principale. Elle arrêtait prendre la poste, jasait de tout et de rien, puis
allait à l’église ou au presbytère. Passer un moment avec le curé Duchaine lui
était très précieux. L’homme d’Église était un jeune homme, timide, qui aurait
été beau s’il n’avait pas porté d’épaisses lunettes qui lui donnaient un air de
hibou. On sentait chez lui un tel amour de l’être humain qu’on avait envie
d’être à ses côtés. Il s’impliquait dans sa communauté et n’abusait pas de son
statut. Au contraire. C’était avec douceur et respect qu’il guidait et
accompagnait ses paroissiens. Léonie aurait juré que le jeune prêtre ne se
rendait même pas compte de son charisme. Avec lui, elle se sentait rassurée. Le
curé ne la jugeait pas et semblait empreint d’une grande bonté. Il lui fit
réaliser que le Seigneur ne lui avait jamais demandé de se cacher sous ce rideau
de culpabilité et qu’elle devait faire face à ses erreurs comme à ses réussites.
Après avoir quitté le curé, elle passait parfois par le magasin général faire
quelques achats. La plupart du temps, cependant, elle revenait sans hâte, son
cheval au pas, ruminant la dernière conversation tenue avec le curé. Le curé lui
enjoignait de continuer sur ce chemin de bonté où elle s’était engagée en
offrant à Georges la possibilité d’acheter une ferme. Il disait de regarder
autour d’elle et de voir ce qu’elle pouvait apporter aux autres, d’accepter ce
que le Seigneur mettait sur sa route et de ne pas lui tourner le dos.
Elle sourit. Grâce au curé Duchaine, pour une des premières fois depuis
longtemps, son chemin s’éclairait. Le poids sur ses épaules, celui du mensonge
fait à John, la promesse non tenue, fut bien viteplus léger.
Peut-être même verrait-elle sous un œil nouveau les attentions de monsieur
Morin... Elle se surprenait à penser souvent au gérant de La belle du lac ces
derniers temps. Elle pourrait l’inviter à Saint-Ambroise. Elle se mit à rire.
Elle venait d’imaginer ce guindé d’Albert parmi les gens simples du
village.
Rolande fut surprise quand on lui fit part que feu son mari lui laissait une
belle petite somme d’argent. Paul-Émile avait réellement réussi à se débrouiller
aux États-Unis et il
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