La chapelle du Diable
galerie. La vue y était si
belle : toutes ces montagnes qui se découpaient, majestueuses, lointaines et
proches en même temps. Ti-Georges était heureux. Il se démenait à l’ouvrage. Lui
aussi se sentait revivre. Il reprenait espoir. La récolte serait bonne. La
compagnie l’avait assuré d’un règlement à l’amiable dans les prochaines
semaines. Il pourrait ainsi rembourser sa dette envers l’institution
bancaire.
Jean-Marie faisait de son mieux pour aider, mais son infirmité lui nuisait pour
certains travaux. Ti-Georges ne pouvait masquer son impatience face à la
maladresse de son aîné. Avoir un fils infirme était une calamité. Au moins,
Elzéar était fort et rapide. Cependant, il était paresseux et passait son temps
à se sauver pour aller pêcher dans la rivière longeant la terre. Marguerite
allait beaucoup mieux. Oh, elle n’avait pas la force de faire des corvées mais
elle tricotait un peu et rien que voir sa mine réjouie et sereine valait un vrai
miracle. Sophie ne cessait de lui confectionner des couronnes de marguerites
dont elle avait découvert avec plaisir l’abondance sur le terrain en arrière du
poulailler. Pour la petite fille, récolter des fleurs du même nom que sa mère
relevait de la plus grande joie.
C’était une fin d’été au temps si doux. Le soleil brillait à tous les jours. Il
ne pleuvait que la nuit. Marguerite commençait à croire que le Bon Dieu avait
vraiment oublié de venir la chercher. En fait, il avait juste décidé de venir
chercher quelqu’un d’autre.
Que la vie ou plutôt la mort est capricieuse ! Un matin du début de l’automne,
le curé Duchaine arriva et vint annoncer à Marguerite qu’il avait reçu un appel
téléphonique de son collègue de Péribonka. Il y avait eu un décès chez les
Belley. Paul-Émile coupait un arbre qu’il trouvait trop penché et avait reçu une
grosse branche sur la tête. On l’avait retrouvé, du sang suintant par les
oreilles. Marguerite ne versa pas une larme. Elle ne ressentait pas de peine
pour son frère, seulement un sentiment étrange. Il n’était plus là. C’est cela
la mort,pouf, on n’est plus là... Sur la recommandation du
docteur, Marguerite n’alla pas aux funérailles. Elle envoya Ti-Georges et
Jean-Marie avec ordre de ramener la jeune veuve, la pauvre Rolande, même s’il
devait pour cela utiliser la force. Pour être bien certaine que son père
n’empêcherait pas la jeune femme de venir à Saint-Ambroise, Marguerite écrivit
une courte missive à ses parents, ordonnant à ceux-ci d’acquiescer à sa demande,
et la remit à son mari avant son départ. Elle pensait si souvent à cette jeune
Rolande. Elle était toute menue et lui rappelait un chaton martyrisé. La savoir
entre les mains de son frère lui avait été intolérable. Mais Paul-Émile était
mort. Il ne ferait plus de mal à personne...
Ti-Georges revint à la fin de la semaine avec une Rolande aux traits tirés et
au regard songeur. Elle se jeta aux pieds de Marguerite et se mit à sangloter
sous le regard gêné de Jean-Marie qui suivait avec une petite valise.
— Allons, allons, la calma Marguerite. C’est-tu la mort de mon frère qui te
fait de la peine de même ? demanda-t-elle, un peu étonnée.
La jeune fille avait-elle aimé son époux ? Peut-être avait-elle présumé de
certaines choses ?
— Chus juste ben... ben redevante que vous m’ayez invitée icitte, sanglota
l’adolescente.
— Appelle-moé Marguerite pis dis-moé « tu », t’es ma p’tite belle-sœur. Allons,
chut... Léonie aura pas besoin de laver le plancher si ça continue.
— Chus travaillante, Marguerite, tu vas voir, j’vas aider dans la maison. Tu
vas me garder icitte... pour toujours ?
Marguerite reconnut la détresse de cette demande. Elle l’avait tant vécue
elle-même. Pauvre Rolande… Elle ne savait tellement plus ce que l’avenir lui
réservait. Au moins ici, elle se sentait en sécurité.
— Ben oui, ma belle... Mais t’auras juste à faire ta part. T’es de la famille,
pas une servante. Arrête de pleurer, t’es juste ben fatiguée. T’as pas dû dormir
ben gros cette semaine. Ti-Georges nous a trouvéune grande
maison. On a de la place pis si tu veux m’aider avec les jumeaux, ça sera pas de
refus. On dirait que chus faite en guenille astheure. Allez, va te reposer ma
chouette.
— Merci
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