La chapelle du Diable
à Léonie puis à son époux. Elle s’éteignit ainsi,
tout doucement, après avoir demandé à Ti-Georges de remettre son collier en
cadeau à Julianna. Ce collier qui lui venait de sa grand-mère et qui avait été
le seul bien précieux qu’elle ait possédé.
— Dis à Julianna que... je l’aime, de tout mon cœur. Qu’en mettant mon collier,
qu’a pense à moé un peu. Pis toé, mon mari, y faudra te remarier ben vite pis
donner une mère à nos enfants pis toujours veiller comme la prunelle de tes yeux
sur Sophie. Jure-moé que jamais personne va faire de mal à ma fille, jure-moé
Ti-Georges, jure-moé...
Julianna était à ce moment enceinte de cinq mois de son Jean-Baptiste, et elle
ne put monter au Saguenay pour assister aux funérailles de sa chère Marguerite.
Julianna pensa à ses neveux et à sa nièce, orphelins de mère. Une chance que
Léonie était avec eux. Comment son frère allait-il se débrouiller ? Rolande,
enceinte de Paul-Émile, s’était résignée, sur ordre de ses beaux-parents, à
retourner vivre dans sa belle-famille. Malgré la présence de Léonie, il n’aurait
pas été convenable qu’elle demeure sous le même toit qu’unveuf.
Rolande ne se faisait pas d’illusion. Elle savait très bien que ce n’était pas
par amitié pour elle que les Belley la réclamaient. Seul l’argent les
intéressait. Encore que sa belle-mère avait profondément aimé son fils d’après
ses interminables crises de larmes…
Cet hiver de 1933-1934 fut long et pénible. Rolande vivait une grossesse
difficile, vu son jeune âge, mais surtout à cause de l’ambiance chez les Belley
qui n’avait rien de réjouissant. Elle s’ennuyait de la chaleur de la ferme de
Saint-Ambroise, des petits de Marguerite auxquels elle s’était rapidement
attachée. Elle revoyait aussi les beaux yeux de Jean-Marie, sa gentillesse...
Elle s’ennuyait même des taquineries de Ti-Georges. Mais elle était une bonne
chrétienne et elle devait supporter ce que le Seigneur lui avait réservé. Pour
l’heure, c’était ce vicieux monsieur Belley aux mains baladeuses et une madame
Belley ayant perdu toute étincelle de joie après la perte presque coup sur coup
de ses deux seuls enfants. Alors Rolande courbait un peu plus le dos à cause du
poids de ce bébé imposé dans son ventre, et si lourd à porter... si lourd.
À Saint-Ambroise, la froide saison fut si triste. On ne s’habitue pas à
l’absence d’une mère. Les jumeaux la réclamaient, Sophie était inconsolable,
Delphis se murait et Samuel évacuait sa peine en imaginant tous les mauvais
coups possibles. Elzéar affectait une mine détachée et Jean-Marie était
continuellement perdu dans ses pensées. Léonie essaya tant bien que mal
d’apporter un peu de réconfort à la famille éplorée et à son neveu, mais
Ti-Georges ne semblait désirer que la compagnie des animaux de l’étable, là où
il disparaissait à longueur de journée.
À Montréal, ce ne fut guère plus gai. Julianna traînait sa grossesse et sa
peine tandis que Marie-Ange s’occupait de toute la petite famille. Laura avait
été malade et toussait encore beaucoup. Henry et François-Xavier passaient leur
temps au hockey et fuyaient entre hommes l’ambiance morne de la maison. Ces
années de crise commençaient à être de plus en plus difficiles à traverser. On
se devaitd’être économe, monsieur Morin ayant averti Léonie que
l’achat de la ferme de Saint-Ambroise avait creusé la marge de sécurité qu’ils
avaient. Il avait même été obligé de mettre à la porte deux employés, le magasin
ne pouvant se permettre plus longtemps de verser leur salaire. Il avait
évidemment gardé mademoiselle Brassard, indispensable au magasin et, bien sûr,
François-Xavier, qui avait vu sa charge de travail tripler depuis l’automne. Le
gérant restait souvent tard le soir chez les Rousseau afin de régler avec
François-Xavier des détails relatifs au magasin. Monsieur Morin en profitait
pour se régaler d’un morceau ou deux de l’un des bons desserts que Marie-Ange
cuisinait. Celle-ci servait l’homme à contrecœur. Manifestement, Marie-Ange
n’appréciait guère ces intrusions. Avec son franc-parler et sa personnalité
généreuse, elle était aux antipodes de celle, empruntée et égoïste, de monsieur
Morin. Enfin, ainsi le jugeait-elle. Elle n’avait osé faire
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