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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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parce que, moé, j’ai peur... »
    Comment peut-on avouer ces choses-là ? Comment expliquer à sa
     femme qu’on est effrayé que la mort la prenne comme Marguerite... Comment faire
     pour ne pas fuir devant cette crainte et ne pas s’embarquer sur un bateau, fuir
     au loin, bien loin pour ne plus avoir à cacher cette angoisse qu’on ne peut
     avouer. C’était une spirale sans fin, un chien courant après sa queue...
     François-Xavier ne put se résigner à offrir son aide. Les mains dans les poches,
     il s’éloigna de la rue sinistrée et se dirigea à nouveau vers le port malgré le
     froid qui lui gelait les orteils. Cela, il pouvait l’affronter.

    Il l’avait laissée seule. Julianna eut envie de pleurer, de s’étendre là, par
     terre, et de se rouler en boule. Elle était si fatiguée. Cette grossesse, elle
     ne l’avait pas voulue. Elle était difforme, son mari devait la trouver laide
     même Henry ne la regardait plus ! Elle avait passé l’hiver enfermée dans cette
     maison, les chamailleries de ses enfants lui donnant la migraine. Elle se
     sentait si vulnérable. Mais le danger guettait sa famille, ses petits… Elle
     devait être forte. Elle n’avait pas le choix. Si elle montrait sa peur, celle de
     ce que l’avenir lui réservait, celle de mourir comme Marguerite et de laisser
     ses enfants orphelins, celle de tout perdre, celle de ne pas pouvoir nourrir sa
     famille, qui montrerait à ses enfants que la vie peut être belle ? Qui les
     convaincrait qu’ils sont merveilleux, beaux, pleins de talent ? Qui les
     guiderait et leur apprendrait à devenir des adultes forts, confiants qui ne
     sombrent pas dès le premier coup de vent ? Qui ?
    Elle releva le menton et reprit sur elle. Elle fit le tour des tuyaux de la
     maison et eut l’idée de recouvrir chacun, du mieux qu’elle put, d’une serviette,
     d’un drap ou d’une nappe. Elle ne savait si cela était idiot ou pas, mais
     c’était mieux que de ne rien essayer.

    Mademoiselle Brassard examina les tuyaux emmitouflés par
     Julianna avec intérêt. Elle sembla trouver l’idée excellente et s’empressa de
     descendre faire le même traitement à ceux du magasin. Les deux femmes parlèrent
     de tous ces pauvres gens à qui l’éclatement des conduites d’eau causait des
     problèmes. Comme si la crise n’en donnait pas assez comme cela ! Quelle misère,
     des enfants réduits à mendier, des hommes qui avaient perdu toute fierté et qui
     demandaient la soupe populaire et maintenant, cette inondation par un froid
     glacial ! On dit qu’un malheur ne vient jamais seul. En ces années de crise,
     l’adage était plus pertinent que jamais !

    — Bon anniversaire !
    François-Xavier venait de revenir à la maison, préoccupé par la lettre dont il
     avait pris connaissance, assis sur un banc de parc malgré la fraîcheur de cette
     fin de journée du 2 avril 1934.
    Il regarda sa femme, encore plus énorme qu’il n’aurait cru possible, presque
     sur le point d’exploser de ce bébé prévu pour les jours à venir. Julianna avait
     le visage enflé et les traits tirés. Il la remercia de ses bon vœux et alla
     s’asseoir à la table de la cuisine. Sa belle-sœur Marie-Ange l’attendait avec
     son souper. Julianna le suivit et, avec difficulté, prit place dans la chaise
     berçante. À leur tour, les enfants vinrent lui souhaiter une bonne fête avant de
     se faire renvoyer hors de la cuisine. Tous avaient déjà mangé. Il remarqua un
     petit paquet à côté de son assiette. Il le prit et dénoua le ruban qui le
     ficelait. Il fit mine de s’extasier devant les mouchoirs brodés de ses
     initiales.
    — J’avais pensé t’offrir d’accoucher le même jour que ta fête, mais c’est pas
     moi qui décide, ç’a l’air, plaisanta-t-elle.
    — Pis v’là mon cadeau ! dit Marie-Ange en déposant sur la table un beau gâteau
     à étages, généreusement nappé de sucre à la crème fondant.
    François-Xavier mangea un instant en silence. Marie-Ange luiservit un café qu’il préférait au thé et le regarda d’un air inquiet. Il était
     évident que quelque chose préoccupait son beau-frère. Julianna avait également
     remarqué le manque d’enthousiasme de son mari.
    — Qu’est-ce qui se passe François-Xavier ?
    Pour toute réponse, il sortit de sa poche une lettre et la tendit à sa
     femme.
    — C’est de Ti-Georges, précisa-t-il.
    Intriguée, Julianna s’empressa d’en

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