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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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part de ses
     impressions, sachant pertinemment l’importance de l’homme pour les finances du
     magasin, mais ses soupirs, ses impatiences et sa brusquerie ne passaient pas
     inaperçus aux yeux de Julianna. Un soir, seule avec sa grande sœur, Julianna lui
     demanda la cause de cette antipathie. Marie-Ange rétorqua :
    — L’habit ne fait pas le moine.
    — Ben voyons, Marie-Ange, qu’est-ce que tu veux dire encore par là ?
    — Qu’il ne faut pas se fier aux apparences...
    — Arrête pis dis-moé vraiment ce qui t’achale autant ! Y est gentil, monsieur
     Morin. Je le connais depuis que je suis toute petite ! Il prend soin du magasin
     pis je serais pas surprise si un jour il se décidait à demander la main de
     marraine.
    — Que Dieu nous en préserve ! s’exclama l’aînée en se signant.
    — Marie-Ange !
    — Ben quoi !
    — Y a de belles manières, y est très éduqué, ce serait un bon mari, non ?
    — Non !
    — Tu dois avoir une raison pour penser de même !
    — Je veux pas te l’dire...
    — Marie-Ange, insista sa jeune sœur.
    La femme hésita puis sur un seul souffle avoua :
    — Y a une face de rat.
    — Quoi ?
    — Y a une face de rat, répéta Marie-Ange, pis quand un homme a cette face-là,
     t’as beau le parfumer pis l’habiller en habit chic, ça reste un rat
     pareil.
    Abasourdie par ce raisonnement, Julianna ne sut quoi répondre.
    Marie-Ange alla terminer sa vaisselle. Restée seule, Julianna mit les mains sur
     son ventre rebondi. Chassant cette image de rat à laquelle elle aurait
     dorénavant de la difficulté à ne pas superposer le visage de monsieur Morin,
     elle alla s’étendre et se reposer un peu.

    Au début de mars, François-Xavier rentra à la maison très tôt en après-midi,
     tout énervé. Julianna, surprise, lui en demanda la raison. Son mari lui
     répondit :
    — Montréal est inondé.
    Puis il se mit à rire, un rire presque dément.
    — Te rends-tu compte ? On s’en va vivre loin du lac à cause des inondations pis
     c’est icitte, en pleine ville, que c’est le plus dangereux !
    — Voyons, François-Xavier, ça se peut pas !
    — Je te l’jure, Julianna. J’m’en revenais du port pis j’ai voulu prendre le
     tramway qui passe sur la rue Craig, comme d’habitude, mais j’avais beau
     attendre, y a pas un char qui passait. Ça fait que chus allé à pied, ben
     crois-le ou non, plus loin en haut, y avait quatre pieds d’eau dans les
     rues.
    — Ça se peut pas ! répéta Julianna.
    — Je te l’jure sur la tête de nos enfants !
    — Qu’est ce qui s’est passé ? Y a encore de la neige !
    — J’me sus informé, c’est les conduites d’eau qui ont gelé pis qui ont
     fendu.
    — C’est vrai qu’y gèle à pierre fendre.
    — Y a de ben gros dégâts.
    — Montréal, inondé ! Y as-tu du danger pour nous autres ?
    — Non, non, je penserais pas... À moins que les tuyaux pètent aussi... J’vas
     aller voir si je peux pas aider.
    — François-Xavier, reste avec nous autres ! Je suis enceinte jusqu’aux yeux,
     s’il arrivait que tout brise ici aussi…
    Il s’avança près de sa femme et lui caressa tendrement la joue. La grossesse de
     Julianna en était à son dernier mois et elle ressemblait à un paquebot à la
     proue proéminente. Il la rassura.
    — J’serai pas ben long.
    Sans plus un mot, François-Xavier repartit, laissant Julianna les larmes aux
     yeux. Il s’en retourna à pied vers le centre-ville. Il n’avait su exprimer à sa
     femme à quel point la terreur l’avait pris en voyant toute cette eau dans les
     rues. Il se rendait compte que, dans le fond, le besoin de sécurité l’avait fait
     prendre la décision de déménager à Montréal. Tout s’écroulait autour de lui
     là-bas. Son père mort sous ses yeux... La perte de sa fromagerie, l’inondation
     de la crue de 1928, les pauvres gens à Saint-Méthode... Comment avouer à sa
     femme qu’il mourait de peur ? S’il acceptait depuis des années cet hébergement
     chez Léonie, ce soi-disant travail qu’il faisait pour le magasin, c’était par
     frayeur.
    François-Xavier s’approcha le plus qu’il le put de la rue Craig et de loin se
     mit à observer les gens qui essayaient de sauver au maximum leurs biens de
     l’eau. Comment aurait-il pu dire à sa femme : « Prends-moé dans tes bras. Tu
     sembles si forte, si brave face à la tourmente... Prends-moé dans tes bras pis
     berce-moé

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