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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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rauque :
    — C’est chez nous icitte. Fais-toé à l’idée, ma p’tite, que j’demanderai pas la
     permission pour rentrer à quelque part… Pis que j’vas toucher pis prendre c’que
     j’veux quand j’veux. Icitte, toute est à moé.
    Il appuya ses paroles d’un regard concupiscent. Il quitta enfin la pièce.
    Rolande fondit en larmes. Tout le long de sa grossesse, elle avait été protégée
     par son état qui semblait refroidir son beau-père. Maintenant, elle savait ce
     qui l’attendait.

    Sous un soleil de plomb, Jean-Marie souleva le lourd outil et une fois de plus
     abattit la masse sur le moyeu de la batteuse à foin.
    — T’as pas frappé assez fort ! Arrête de forcer du nez,
     bateau ! s’écria son père qui tenait le ballant de la machine agricole.
    Sous la rebuffade, Jean-Marie redoubla d’ardeur mais l’élan démesuré le fit
     dévier de sa cible. Son père eut tout juste le temps de retirer sa main pour ne
     pas se la faire écraser.
    — Ciboire ! Tu veux-tu me rendre infirme moé itou ?
    Ti-Georges lança un regard furieux à son fils aîné avant de se détourner vers
     la grange à l’intérieur de laquelle Elzéar était en train de nettoyer les
     harnais. D’une voix tonitruante, il ordonna :
    — Elzéar, viens icitte tout de suite !
    L’adolescent apparut, une guenille à la main.
    — Vous m’avez appelé, son père ?
    — Remplace ton pas bon de frère. Y a manqué m’estropier.
    — Mais, son père... commença Jean-Marie.
    — Tais toé pis va-t-en à l’étable continuer l’ouvrage d’Elzéar. J’ai jamais vu
     un manchot de même. Des mains de canard... Depuis que t’es petit, tu fais jamais
     rien de droite. On sait ben, avec une patte folle...
    De rage, Jean-Marie lança la masse au loin, prit le linge souillé des mains de
     son jeune frère et se dirigea en claudiquant vers les chevaux. Fulminant, il
     attrapa le pot de graisse laissé ouvert par Elzéar.
    Son paternel allait regretter ses paroles. Il allait voir... Cela faisait plus
     d’un mois que l’encan avait eu lieu et il n’avait pas trouvé les mots pour lui
     annoncer sa décision de partir pour les États-Unis. Le fait qu’ils aient pu
     garder leur ferme en fin de compte avait changé les arguments qu’il avait
     élaborés. Il ne pouvait plus justifier son départ par une bouche de moins à
     nourrir. Et puis, il s’était dit que son père avait tellement d’ouvrage qu’il ne
     pouvait le laisser. Il avait donc décidé, à son grand regret, de reporter son
     départ et son projet de mariage avec Rolande. La colère montait de plus en plus
     et il frottait en vigoureux va-et-vient au point d’abîmer le cuir du licou.
     Pourquoi, mais pourquoi est-ce qu’il prenait la peine de se sacrifier ? Pour
     qui ?Son père n’en avait rien à faire qu’il reste ou pas. Il
     grommela :
    — Maudite marde de maudite marde ! J’vas sacrer mon camp d’icitte moé pis le
     père y va s’en mordre les doigts de m’avoir parlé de même. Y va se rendre compte
     que j’en abattais de l’ouvrage… pour une patte folle… pour un infirme !
    Il allait cesser de l’encombrer, il allait lui dire sa façon de penser. Et tout
     de suite à part de ça.
    Il jeta son attirail de nettoyage par terre et retourna dehors. D’un pas
     décidé, il alla se planter devant son père. Celui-ci releva les yeux et voulut
     sourire à son fils. Il se savait trop dur à l’endroit de son plus vieux et il
     regrettait ses paroles. De ce temps-ci, il se sentait prêt à exploser à la
     moindre occasion. Il était frustré. Il était veuf depuis sept mois et en
     comptant les derniers temps de la maladie de sa femme, son abstinence forcée
     durait depuis presque un an. Cela aurait mis les nerfs de n’importe quel homme à
     rude épreuve. Ti-Georges soupira et voulut s’excuser à son fils, mais celui-ci
     ne lui en laissa pas le loisir. Les mains sur les hanches, en colère, Jean-Marie
     lui lança :
    — L’infirme a oublié de vous dire qu’y sacrait son camp d’icitte, demain...
     Non, pas demain, à soir, pis qu’y va être ben content de pus vous voir la
     face !
    Ti-Georges se releva, enragé, et regarda son fils. Elzéar observa l’un après
     l’autre les deux hommes se défier.
    — Que c’est que t’as dit ? gronda le plus vieux, les poings serrés.
    — Vous êtes pas sourd à ce que je sache, son père. Je m’en vas faire de
     l’argent aux États. Pis

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