La chapelle du Diable
ben
content.
— Le gars de la compagnie, lui, par exemple ! C’était de toute beauté à voir !
s’exclama Henry.
— On aurait dit qu’y venait d’avaler un porc-épic entier ! ajouta
François-Xavier. Y était certain de te voir dépossédé de tout.
— La boucane lui sortait par les oreilles ! surenchérit Léonie.
— C’est vrai ! appuya François-Xavier. Pis mon Henry qui est resté ben calme
pis qui lui a ordonné de l’appeler maître ou sinon il allait le poursuivre pour
manque d’égard.
Tous éclatèrent de rire à cette remarque. Un peu après, Ti-Georges fronça les
sourcils. Il regarda tour à tour ses voisins de table et jura :
— Ça m’prendra le temps qu’y faudra, mais j’vas rembourser Marie-Ange.
Avec douceur, Léonie lui répondit.
— Personne en doute, Ti-Georges.
— Trinquons ! dit François-Xavier. Au huit mille piastres et vingt… et
une !
On remplit les verres et les trois hommes calèrent chacun le sien d’un coup
sec.
Ti-Georges commençait à être ivre. Les deux autres hommes ne semblaient guère
mieux.
— Dans une couple d’années, intervint sur le même ton l’avocat, quand toute
cette magouille de compagnie va être finie, tu pourras racheter ta ferme pis la
mettre à ton nom.
— Buvons ! dit François-Xavier en vidant un autre verre.
Ti-Georges et Henry ne se firent pas prier et l’imitèrent.
Elle était bien la seule à ne pas avoir trop bu, se dit Léonie en souriant à la
vue de ces trois hommes fêter solidement leur victoire. Ellese
leva et entreprit de préparer du café. Ils en auraient certainement besoin
bientôt.
En s’essuyant la bouche du revers de sa manche, Ti-Georges, larmoyant, se mit à
exprimer sa reconnaissance à ses amis.
— Merci, merci ben gros. Vous êtes ben, ben, ben fins. Moé qui pensais que vous
m’aviez abandonné... Merci.
— T’as pas à nous remercier, lui rétorqua son beau-frère. C’est toute à cause
de la compagnie ce qui arrive. C’est pas la charité qui a parlé aujourd’hui.
C’est la fierté.
— La fierté, répéta à voix basse Ti-Georges.
Puis il se redressa. Un nouveau regard l’habitait. Il leva son verre.
— Buvons à la fierté. La fierté de vous avoir comme amis...
— À la fierté ! entonnèrent les deux autres hommes.
Ti-Georges se mit debout. Empreint d’émotion, il continua son toast.
— Pis à la fierté d’avoir une sœur généreuse comme Marie-Ange !
— À Marie-Ange !
— Pis de connaître une femme dépareillée comme matante !
Léonie se retourna.
— À matante Léonie !
— À Léonie !
Ti-Georges lui tendit à nouveau un peu d’alcool. Cette fois, elle accepta et le
verre et l’hommage.
Rolande n’était pas au courant de tous ces événements. Penchée sur son petit
Augustin, elle détaillait ce nouvel être minuscule. Il lui était étrange de
tenir dans ses bras son bébé. Les premières heures après la délivrance, elle
avait eu l’impression d’être coupée de toute émotion. Puis, un sentiment de
protection et d’amour infini avait grandi en elle. Elle remerciait le Bon Dieu
que son bébé ne semblepas avoir trop de traits paternels. Au
contraire, il lui rappelait un de ses jeunes frères. Elle sourit et s’apprêtait
à donner le sein à son nouveau-né quand la porte de la chambre s’ouvrit à toute
volée. Elle s’empressa de refermer son corsage.
— J’viens voir mon petit-fils, annonça sans manière son beau-père.
Comme s’il était roi et maître, l’homme s’approcha du lit et se pencha sur sa
bru. De sa grosse main, il caressa la tête de son petit-fils. Rolande savait
qu’il n’y avait aucune affection derrière ce geste. Son beau-père s’organisait
tout simplement pour lui toucher la poitrine. Le souffle court, le visage déjà
rougeaud, l’homme se pencha avec l’intention de déposer un baiser sur le front
du bébé. Rolande se tassa, donnant un coup de coude à son beau-père. Il se
redressa, mécontent. Prenant son courage à deux mains, la jeune fille
murmura :
— J’aime pas que vous rentriez dans ma chambre de même, monsieur Belley, je
vous l’ai déjà dit.
Pendant un moment, l’homme sembla réfléchir. Puis il tourna les talons. Rolande
se sentit soulagée. Mais avant de quitter la pièce, monsieur Belley se retourna,
la main sur la poignée, et dit d’une voix
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