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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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ouverture.
    Mademoiselle Brassard, pour sa part, était digne d’elle-même. Portant toujours
     son chignon qu’aucune mode ne lui ferait défaire et ses lunettes, elle sirotait
     son thé comme une grande dame de la haute société. Elle avait refusé le
     champagne d’un air pincé. Elle ne parla pas beaucoup et ne fut pas longue à les
     remercier et à leur annoncer qu’elle rentrait chez elle. Seul celui qui aimait
     sans être aimé en retour reconnut la détresse de mademoiselle Brassard sous ses
     airs de politesse. Henry lui jeta un regard de pitié. Puis il tourna son
     attention vers Julianna. Il la revit, en train de chanter, le visage en émoi,
     les mains gantées, appuyant la mélodie de gracieux gestes. Il y a de ces hommes
     qui ont décidé de n’aimer qu’une seule femme dans leur vie. Henry était de
     ceux-là. Pourtant, s’il se laissait aller à se sonder et à se dire la vérité, il
     devait admettre que, dans le fond, cela faisait son affaire. Tant que Julianna
     était inaccessible, il pouvait se permettre d’espérer et il ne prenait pas le
     risque qu’elle lui dise non. D’ailleurs, jamais il ne l’avait pris, ce risque.
     Même avant que Julianna ne rencontre son mari, jamais il ne l’avait demandée en
     mariage et si François-Xavier n’était pas arrivé dans le portrait, il était
     probable que Julianna en serait encore réduite à attendre la demande. Henry
     revint sur terre et se fit répéter la question qu’on venait de lui poser.
     François-Xavier était depuis plusieurs minutes en pleine discussion avec
     monsieur Morin au sujet du fameux mouvement de retour à la terre.
    — J’te demandais, mon Henry, répéta François-Xavier, si tu penses que
     Taschereau va régler le problème des chômeurs avec son retour à la terre ?
    Henry se força à se concentrer sur le sujet.
    — Quitter la ville pour tous ces hommes, c’est peut-être mieux
     que de mourir de faim avec leur famille. Pour une fois, je peux dire que je suis
     d’accord avec notre premier ministre.
    Monsieur Morin avait un point de vue différent.
    — Notre gouvernement serait plus avisé d’investir dans les petites compagnies
     comme la nôtre pis de nous aider à verser des salaires plutôt que de pousser des
     familles à cultiver la terre. De toute façon, je vois pas quel homme sensé
     voudrait aller jouer au colon.
    — Moé j’en connais, dit François-Xavier.
    — Ben ils ont pas toute leur tête ! s’exclama le gérant. Mais c’est peut-être
     ça le but du gouvernement, nettoyer la ville des bons à rien pis des idiots.
     Dans le fond, c’est pas fou cette idée !
    François-Xavier lança un regard noir à monsieur Morin qui, trop occupé à rire
     de sa remarque, ne se rendit compte de rien.
    — Ça doit pas être facile de tout laisser pour recommencer à neuf avec peu de
     moyens, fit remarquer Henry.
    — Mon père était un colon, dit François-Xavier. Quand il a pris sa terre sur la
     Pointe, il a tout fait de ses mains. Ça prend de l’intelligence pour faire une
     ferme prospère à partir d’une forêt sauvage… Y a ben des hommes qui se croient
     plus fins pis plus intelligents que d’autres pis qui dureraient pas un mois
     comme colon…
    Monsieur Morin ne se sentit pas visé. Imbu de lui-même, il fit comprendre que
     la conversation ne l’intéressait plus et laissa les deux hommes poursuivre sans
     lui. Il en profita pour se pencher vers Léonie et lui demander si elle n’avait
     pas froid. Elle répondit par la négative. Depuis tant d’années qu’il la
     convoitait… Somnolente, Marie-Ange étudia, à travers ses yeux mi-clos, le
     comportement de l’homme. Était-ce l’effet du champagne qui la faisait
     déraisonner ? Elle se dit qu’après tout, si cela prenait un monsieur Morin dans
     la vie de Léonie pour que celle-ci perde enfin son visage de sainte martyre, eh
     bien pourquoi pas ! Fermant complètement les yeux, elle se laissa bercer par le
     son des voix.
    Léonie avait suivi l’exemple de mademoiselle Brassard et
     s’était contentée d’une tasse de thé. Plutôt silencieuse, elle réfléchissait à
     la cour évidente qu’Albert lui faisait. Ce n’était pas Ernest et son cœur ne
     battait pas la chamade pour lui, mais c’était un homme sage qui avait su prendre
     soin du magasin. Il était vaillant, distingué et pieux. Peut-être que le curé
     Duchaine avait raison... Si le Seigneur jugeait bon de lui donner

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