La chapelle du Diable
préférait se
mettre à l’abri.
Resté seul, le couple se fit face. Julianna avait perdu tout air suppliant et
semblait maintenant être autant en colère que l’homme.
— Belles manières devant le monde, siffla-t-elle.
— Ah ben, tu t’es pas vue, toé ? Tu sais même pu tenir ta place.
— François-Xavier, tu exagères !
— C’est toé qui vas trop loin ! Une mère, ça reste avec ses enfants.
— Parlons-en des enfants, t’es jamais là ! T’as pas dit un mot de gentil à
Mathieu !
— Y a assez de toé pour lui enfler la tête !
— Y a un don ! Y va aller loin dans vie, lui !
— Ah bon, pis que c’est que tu veux dire par là...
— ...
— Parle, ciboire !
— Recommence pas à sacrer comme un gars de chantier.
— C’est vrai que je parle jamais assez bien pour madame. Avec madame, il
faudrait dire des « moi » comme monsieur Morin !
— Y a pas de mal à bien parler comme du monde. C’est pas parce qu’on est né
pour un petit pain qu’on doit le rester !
— T’es en train de dire que chus pas grand-chose, Julianna... c’est ça ? dit
François-Xavier les dents serrées.
Cette dispute était ridicule et ne menait à rien. Julianna sentit qu’elle avait
dépassé les limites. Sa colère tomba un peu. Elle perdait le contrôle de la
situation. D’habitude, elle réussissait à avoir les arguments qui lui donnaient
le dernier mot et qui faisaient en sorte que François-Xavier perde la partie.
Cette fois, c’était différent. Elle avait un handicap à cause de la façon non
préméditée dont cela avait commencé.
Il y eut un lourd silence que brisa François-Xavier d’une voix sourde.
— C’est-tu d’être avec Henry qui te rendrait heureuse,
Julianna ? dit-il, terriblement en colère, en s’avançant, menaçant.
Julianna cherchait désespérément une façon de reprendre l’avantage de cette
querelle.
— Parce que t’as juste à rester avec ton Henry si c’est ça. Tu seras presque
mariée avec…
Julianna était sidérée. Elle faisait un cauchemar ou quoi ? Son mari lui
parlait de… de… séparation ? Non, il voulait la quitter ? Non ! C’était affreux,
épouvantable, c’était péché ! Les larmes aux yeux, Julianna recula un peu en
hochant la tête de gauche à droite, elle perdait vraiment pied, elle allait
s’évanouir ou… ou mourir là, comme ça… Il la jetait dans les bras de
Henry !
François-Xavier était maintenant à six pouces d’elle. Il ne criait pas. Elle
aurait préféré qu’il hurle, mais il hachait menu ses mots comme il hachait son
cœur. Il reprit :
— Parce que pour moÉ, dit-il en appuyant sur la dernière voyelle, c’est fini,
Julianna.
— François-Xavier, dis pas ça… Ç’a pas de bon sens ! C’est terrible ce que tu
dis… supplia la jeune femme.
— Tu penses-tu que je me sus jamais rendu compte de ce qui se passait entre toé
pis Henry ?
— Y a... y a rien entre Henry pis moé.
— Attention, Julianna, tu retrouves ton vieux parler !
Elle se rebiffa un peu.
— Moé ou moi, que c’est que ça peut ben faire ? François-Xavier, je le sais pas
pourquoi t’es fâché de même, si c’est juste à cause du poste de professeur, je
voulais t’en parler… pis j’ai déjà dit non, mentit-elle.
— Chus un gars bonasse, Julianna, mais astheure ça va faire. Écoute-moé ben,
vivre icitte, j’haïs ça, pis j’vas partir coloniser une terre... Avec mes
enfants, déclara-t-il en tournant le dos à sa femme.
Calmement, il alla ramasser les dernières pièces du jeu d’échecs. Ilprit un cavalier et d’un geste brusque s’en servit pour faire
tomber la reine.
— Quoi ? s’exclama Julianna.
— Si tu veux me suivre... dit-il en se retournant à nouveau vers elle mais
cette fois avec un air détaché et glacial.
Il haussa les épaules et termina sa phrase.
— … c’est à toé de voir.
Après avoir souhaité un rapide bonsoir à Albert et Henry, Léonie s’était
empressée de revenir vers le salon afin de fermer les doubles portes. Un couple
pouvait se disputer mais à l’abri des oreilles indiscrètes. Après avoir fait
glisser lentement les cloisons, elle n’avait pu se retenir de s’adosser au
chambranle et de suivre l’altercation verbale. Quand François-Xavier parla
d’Henry, elle eut un hoquet d’horreur et se signa plusieurs fois. Elle se mit
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