La chapelle du Diable
vendraient ou loueraient une
maison, chus certaine… En tout cas, demain, j’vas entrer en contact avec
monsieur Dallaire pis toute devrait être réglé rapidement. Si Dieu le veut, ça
devrait fonctionner.
Elle reprit son souffle et s’arrêta de marcher.
— Ben… si ça fait ton affaire comme de raison, François-Xavier. C’est toé qui
mènes. Y me semble que ça aurait ben du bon sens. Tu serais voisin de Ti-Georges
en plus. Pis tu pourrais économiser ton salaire pis te repartir une fromagerie…
Y va avoir ben de l’ouvrage qui va t’attendre mais vaillant comme t’es, chus pas
inquiète.
Au début, François-Xavier avait écouté Léonie exposer son plan sans grandes
attentes. Maintenant, il la regarda comme si… peut-être… oui, il pouvait y
croire… Ses paroles avaient dépassé sa pensée. Oui, il voulait quitter Montréal
mais jamais sans Julianna. Il l’aimait… Ces derniers temps, il avait beau
regarder autour de lui à la recherche d’une solution, il ne voyait jamais rien.
À Montréal, il se sentait pris au piège. Il ne pouvait s’embarquer sur un navire
et tout laisser derrière lui. Malgré la tentation, il n’était pas comme cela. Il
ne pouvait pas vraiment non plus songer à devenir colon et emmener ses enfants.
Il savait très bien que cela aurait été dément. Et il ne voulait plus de
l’argent de Léonie pour résoudre ses problèmes. Il y avait peut-être une porte
de sortie en fin de compte.
— Ça va marcher, François-Xavier, j’en suis certaine, réaffirma Léonie en se
rendant compte que l’homme changeait d’attitude. Toé, ta femme pis tes enfants
allez être bien là-bas.
Elle se tourna vers Julianna.
Celle-ci venait d’éclater en sanglots.
Tout se déroula très vite. Monsieur Dallaire accepta sans hésiter. Il se
faisait vieux et il avait vraiment besoin de quelqu’un. Ils pouvaient prendre
possession de l’ancienne maison de son fils. Il avertit cependant que celle-ci
ne comportait presque pas de meubles. Léonie remit une petite somme d’argent à
François-Xavier.
— Pour t’aider à vous installer. J’ai le droit de gâter mes petits-enfants, lui dit-elle sans lui laisser le choix
d’accepter.
Sans plus tarder, on mit en branle le déménagement. Léonie était un peu triste
du départ de sa Julianna, mais il était plus que temps que sa fille prenne son
mariage en main. L’éloigner de Montréal, de Henry et de ses tentations
d’émancipation ne pouvait être que bénéfique. De plus, Marie-Ange avait pris la
décision de suivre la petite famille. Celle-ci s’était bien trop attachée aux
enfants de sa jeune sœur pour les laisser partir sans elle. Ayant fait don de
ses économies pour la ferme de son frère, elle n’avait plus les moyens de
voyager comme elle l’avait rêvé. Monsieur Morin, lui, jubilait et il ne put
réussir à cacher sa joie d’avoir Léonie à lui tout seul. Ce fut à peine s’il eut
la politesse de faire remarquer qu’il perdait un bon employé en la personne de
François-Xavier.
Pierre était très excité à l’idée de déménager à Saint-Framboise comme disait
Laura en déformant le nom de son futur village. Il voulait tout savoir sur ses
cousins Gagné et sur cet oncle, son parrain. Il n’en avait aucun souvenir, mais
il avait tant de fois entendu prononcer son nom. Quant à Mathieu, il n’eut
qu’une inquiétude : allait-on apporter le piano ? François-Xavier répondit que
l’instrument n’était pas à eux et qu’un jour, il en achèterait un nouveau. Sa
mère était soudainement sortie un peu de son mutisme pour répliquer : « Ben oui,
quand les poules vont avoir des dents ». Mathieu n’avait pas compris. Yvette,
elle, fronçait les sourcils et suivait comme son ombre sa tante Marie-Ange. Ce
grand dérangement la troublait et l’attitude déprimée de sa mère, qui n’était
plus que l’ombre d’elle-même depuis l’annonce du grand départ, n’arrangeait
rien.
C’est vrai que Julianna ne parvenait pas à se ressaisir. Toute sa vie, elle
s’était sentie en sécurité. Gâtée, elle avait mené le monde par le bout du nez
et s’était ri des petites embûches qu’elle avait traversées. Sa marraine était
toujours là à réaliser ses désirs, à pourvoir à ses fantaisies. Et son mari…
Elle croyait qu’elle aurait pu lui dire ou faire n’importe quoi, que rien
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