La chapelle du Diable
frénétiquement à prier.
« Seigneur Dieu tout-puissant, chus votre instrument, guidez-moé, montrez-moé
quoi faire... »
Et le Seigneur lui répondit. Quand son gendre déclara qu’il avait l’intention
de devenir colon, elle sut à l’instant précis ce qu’elle devait faire. D’un air
décidé, elle ouvrit les portes et s’interposa entre les deux époux.
— Si tu veux rester à Montréal, tu peux... répétait François-Xavier à sa
femme.
— Ta femme va te suivre, déclara Léonie d’une voix empreinte d’émotion.
Julianna s’était affaissée sur une chaise, complètement atterrée, essayant
d’assimiler les terribles paroles de son mari. Elle avait seulement voulu le
rendre jaloux, le faire réagir, le forcer à lui faire des compliments, se venger
de son indifférence. Encore une fois, il ne se battait pas pour elle, encore une
fois, il lui tournait le dos, toutsimplement, il la rejetait.
Julianna, défaite, laissa sa tante intervenir sans réagir.
François-Xavier regarda l’intruse et haussa les épaules en signifiant qu’elle
pouvait dire ce qu’elle voulait. Il ne croyait plus à son mariage.
— Oui, François-Xavier, Julianna va te suivre, répéta fermement Léonie. Une
femme se doit d’être aux côtés de son mari pis de tout faire pour le rendre
heureux.
Doucement elle s’approcha de l’homme qui, les mains dans les poches, regardait
par la fenêtre le paysage de sa vie ratée.
— Dieu vous a unis. Rien peut défaire les liens du mariage… Ton père Ernest, y
doit pleurer ben des larmes à cause de tes paroles.
François-Xavier regarda Léonie un moment, une expression indéchiffrable au fond
des yeux.
— Laissez mon père en dehors de ça, répliqua-t-il après un moment.
Il voulut quitter la pièce. Léonie le retint.
— Attends, mon gars... J’ai quelque chose à vous dire, à toé pis Julianna. Chus
rendue vieille pour des enfants qui courent partout. J’aimerais ben retrouver un
peu de tranquillité. Pis peut-être que j’vas me remarier… J’veux pus que vous
habitiez icitte.
Julianna eut un hoquet de surprise.
— Marraine !
Sa mère adoptive la rejetait aussi. Elle se sentit trahie. Elle avait envie de
pleurer mais essayait de toutes ses forces de se retenir.
— On va s’organiser pis vous allez retourner vivre au Lac, continua Léonie d’un
ton ferme.
François-Xavier tenta encore une fois de quitter le salon. Pour lui, tout cela
n’était que des paroles en l’air. Il voulait mettre le plus de distance possible
entre lui et sa femme.
— J’ai pas fini, François-Xavier.
L’homme obéit et s’immobilisa. D’une main lasse, il se frotta les yeux.
— Je t’en ai pas parlé, mais vu que j’ai aidé mon neveu Ti-Georgesà s’acheter une ferme, ça serait rien que normal que je fasse
pareil avec vous autres.
— Vous nous devez rien pantoute. Vous en avez assez fait comme ça, dit
François-Xavier.
Léonie essaya de le convaincre.
— J’vas vous verser votre héritage tout de suite !
François-Xavier refusa.
— J’veux pus de votre argent. J’vas faire comme mon père et partir de rien. Je
m’en vas défricher une terre pis j’emmène mes enfants avec moé ! Que Julianna
reste avec vous !
De nouveau, il voulut quitter la pièce mais Léonie s’interposa
physiquement.
— Allons, François-Xavier… Ton père avait pas la responsabilité de jeunes
enfants pis d’un bébé. Y survivraient peut-être même pas dans des conditions
aussi difficiles ! Calme-toé un peu pis écoute-moé…
Léonie réfléchissait à toute allure. Elle connaissait son gendre et savait que
seul le désespoir l’aveuglait et le faisait s’accrocher à ce projet de
colonisation. Quant à sa fille adoptive, jamais elle ne pourrait réussir à
surmonter une vie de pionnier.
Nerveusement, elle se mit à marcher de long en large, en face de son gendre.
Dieu lui fit penser à une solution, lui donnant les idées au fur et à mesure
qu’elle les énonçait.
Elle s’enflamma.
— Quand j’étais à Saint-Ambroise, j’ai eu connaissance que le couple Dallaire,
y se cherchait un homme engagé. Y ont une grande terre pis y ont perdu leurs
deux fils à la guerre. Y ont pas d’autres enfants. Y ont même deux maisons,
chacune à un bout du lot. Je pense que c’était le plus vieux qui s’était
construit en vue de son mariage. Les Dallaire, y te
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