La chasse infernale
étages qui se dressait derrière son propre mur d’enceinte. Les mendiants se pressaient à la porte. Dans la cour pavée, un frère convers, l’air las dans sa bure noire ceinte d’une corde sale, distribuait du pain de seigle dur à un groupe de vagabonds. Ils faisaient la queue devant une table de bois où deux autres frères leur versaient des bols fumants de viande et de légumes. Corbett et son serviteur s’approchèrent.
— Je n’ai jamais vu un endroit semblable, chuchota Ranulf. Pas même à Londres.
Corbett ne put qu’acquiescer. Il devait y avoir au moins une centaine de pauvres hères, quelques-uns jeunes et alertes, la plupart courbés par l’âge et en haillons. Dans l’ensemble, c’était d’anciens soldats qui portaient encore les cicatrices des horribles blessures de la guerre : visage échaudé par de l’huile bouillante, oeil arraché et orbite fermée, jambes tordues et pliées... une myriade de miséreux sur des béquilles de fortune. Quelque chose qu’il avait déjà constaté dans d’autres hôpitaux frappa le magistrat : malgré leur âge, leurs blessures et leur pauvreté, ces hommes avaient bien l’intention de vivre, de s’accrocher à ce qui leur restait de vie. D’une certaine façon, pensa-t-il, l’assassinat de ces malheureux était plus cruel que ce qu’avait fait le meurtrier à Sparrow Hall. Ils étaient innocents et, malgré les malheurs qui les écrasaient, ils se battaient encore.
— Puis-je vous être utile ?
Corbett se retourna. Si la voix était basse et douce, l’homme qui l’avait interpellé était grand et robuste. Il portait la robe noire des franciscains ; son crâne était proprement tonsuré, mais son visage bienveillant ressemblait à celui d’un crapaud avec ses petits yeux qui cillaient sans cesse et ses grosses lèvres ouvertes par un sourire.
— Je suis désolé, je sais que je suis affreux, déclara le franciscain.
D’une main qui faisait penser à la patte d’un ours, il tapota l’épaule du magistrat.
— Je le lis dans vos yeux, Messire. Je suis affreux pour les hommes, mais Dieu, lui, pense peut-être autrement.
— Je cherche le père gardien, dit Corbett. Et un homme qui travaille parmi les déshérités ne saurait être affreux.
Le frère s’empara de la main de Corbett qu’il serra vigoureusement.
— Vous feriez un sacré franciscain ! grommela-t-il. Qui diable êtes-vous, d’ailleurs ?
Le magistrat se présenta.
— Et moi, je suis frère Angelo. Je suis aussi père gardien. Voici mon manoir, mon palais.
Il leva les yeux et plissa les paupières pour éviter le soleil.
— Nous nourrissons deux cents vagabonds par jour, reprit-il. Mais vous n’êtes pas venu nous aider, n’est-ce pas, Corbett ? Et vous n’apportez certainement pas de l’or de la part du roi ?
Il engagea Corbett à le suivre dans l’escalier qui menait à l’hôpital et le conduisit dans sa cellule, étroite pièce aux murs chaulés. Le magistrat et Ranulf s’assirent sur le lit pendant que frère Angelo s’installait sur un tabouret près d’eux.
— Vous êtes venus à cause du Gardien, hein ? Nous avons tous entendu parler de ce fou de bâtard et des morts à Sparrow Hall.
— Le roi a, lui, entendu parler des décès ici, à St Osyth, ou plutôt, ajouta en toute hâte Corbett en voyant s’effacer le sourire de frère Angelo, des cadavres découverts dans les bois hors les murs.
— Nous ne savons pas grand-chose là-dessus, avoua le franciscain. Regardez autour de vous, Messire ; ce sont de pauvres hommes, décrépits, de pauvres vagabonds. Qui, par le ciel, pourrait être si cruel envers eux ? Cela n’a pas le moindre bon sens, ajouta-t-il. Je ne peux pas vous aider.
— N’avez-vous pas eu vent de rumeurs ? s’enquit Corbett.
Frère Angelo eut un geste de dénégation.
— Rien, si ce n’est les sornettes de Godric, murmura-t-il. Mais vous comprenez, Messire, ici les hommes vont et viennent à leur guise. Ils mendient dans les rues de la ville. Ils sont sans recours, proies faciles pour la méchanceté ou la haine.
— Vous souvenez-vous de Brakespeare ? demanda le magistrat. Un soldat, un ancien officier de l’armée du roi ?
— Il y en a tant, s’excusa frère Angelo en hochant la tête.
Il jeta un coup d’oeil à Ranulf.
— Vous semblez être un homme d’armes, dit-il en désignant l’épée, le poignard et les bottes de cuir de ce dernier. Vous avez l’air fanfaron.
Se
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