La chasse infernale
un homme est sur le point de mourir, pourquoi mettrait-il sa tenue de nuit ?
Corbett alla jusqu’à la porte. À un clou pendait une toge de maître portant l’insigne du collège et, à un autre, une chemise, un justaucorps et des chausses. Corbett les examina en détail.
— Ils sont tous propres, murmura-t-il.
Il embrassa la chambre du regard et aperçut un panier en osier à l’autre extrémité, sous le lavarium. Il traversa la pièce, s’en saisit et en renversa le contenu sur le sol. Il ramassa une chemise et des chausses sales.
— Voici ce qu’Appleston portait hier.
Corbett les remit dans le panier.
— Et il avait aussi préparé des vêtements propres pour demain.
— C’était peut-être un homme routinier, répliqua Ranulf. J’ai entendu parler d’un cas semblable à Cripplegate : une mère qui a fait cuire son pain alors qu’elle avait décidé de se suicider avant le matin.
— Peut-être.
Corbett fit le tour de la chambre. Il s’assit au bureau et fourragea parmi les parchemins.
— Mais disons...
Il agita un morceau de vélin.
— ... causa disputandi, qu’Appleston ait été le Gardien. Bullock est entré et a immédiatement découvert la preuve. Pourquoi la rendre si manifeste ?
— Cela n’avait plus d’importance, remarqua Ranulf. N’oubliez pas, Messire, qu’il a dû s’apercevoir que nous nous rapprochions. Nous avions découvert son secret...
— Mais je ne me rapproche pas ! commenta sèchement Corbett. Je tâtonne plus que jamais dans les ténèbres.
— Oui, oui. Mais, Messire, admettons que nous ayons quitté Oxford, ayons enfourché nos montures et soyons allés à Woodstock rapporter au roi ce que nous savions. Que se serait-il passé ?
— On aurait arrêté les professeurs, acquiesça le magistrat. Je vois ce que tu veux dire, Ranulf. Le roi se serait intéressé de très près à Appleston. Il aurait été tenté de l’expédier à la Tour avec les bourreaux jusqu’à ce que la vérité éclate. En fait, Édouard aurait été hors de lui en apprenant que le fils bâtard du grand Montfort aurait pu comploter contre lui.
Corbett vit son serviteur frotter ses bottes contre les tentures du lit et, traversant la pièce, il alla soulever draps et couvertures. Sous le matelas, encastré dans le châlit de bois, se trouvait un petit tiroir. Corbett ordonna à Ranulf de se déplacer ; ils s’accroupirent et essayèrent d’ouvrir le tiroir. Il était fermé à clé, mais Ranulf sortit une petite épingle de son escarcelle et l’inséra avec soin dans la serrure. Il n’eut d’abord pas de chance, mais, l’enlevant, il la réinséra avec encore plus de soin. Le magistrat entendit un déclic et Ranulf ouvrit le tiroir qu’ils sortirent et déposèrent sur le lit.
Ranulf jeta un coup d’oeil au visage d’Appleston et, se sentant coupable, le recouvrit du drap. Le petit tiroir contenait quelques objets : un livre, une mèche de cheveux dans un sac de cuir, une bague gravée de l’écusson du lion blanc rampant, une médaille de pèlerin de Compostelle, en Espagne, une dague à la poignée d’ivoire dans un étui à fermoir, qui portait le même emblème que la bague.
— Les armes de Montfort, commenta Corbett. Sans doute des reliques du grand comte.
Il prit le livre et l’ouvrit. De petits morceaux de verre étaient sertis dans la reliure de veau brun, les pages étaient tachées et marquées et l’écriture de différentes mains. Le magistrat l’approcha de la lumière.
— C’est une collection de pamphlets, déclara-t-il, rassemblés et reliés en un seul volume.
Il regarda le début du volume.
— Et il n’appartient pas à Appleston, mais au collège.
— Était-ce celui-là qu’Ascham étudiait ? suggéra Ranulf.
— Qui sait ? répondit Corbett en le feuilletant. Ce sont des pamphlets qui ont été rédigés et ont circulé à Londres pendant la guerre civile entre Montfort et le roi. Leurs auteurs sont différents et, pour la plupart, anonymes.
— Quelque chose du Gardien ? s’enquit Ranulf.
— Non, mais un auteur se fait appeler Gabriel, du nom du chef des hérauts du paradis, constata Corbett. Ah ! sourit-il, il y a des critiques virulentes contre le gouvernement royal. Rien d’original – la liste habituelle des abus royaux et des expressions de soutien à Montfort.
— Et ? demanda Ranulf.
— Ce qui est intéressant, mon cher Ranulf, c’est que voici la source des placards du Gardien.
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