La chevauchée vers l'empire
quand le soleil se lèverait. Il hésita, immobile sur sa
selle, guetta un bruit par-dessus le gémissement du vent s’engouffrant entre
les collines.
Il entendit une corde d’arc claquer mais ne fut pas assez
prompt à réagir. La flèche frappa sa poitrine, qui n’était pas protégée par une
cuirasse. Il grogna, bascula en arrière, agrippa le pommeau en bois et parvint
à ne pas tomber tandis que son cheval hennissait de détresse. Il aspira une
bouffée d’air, cracha du sang et tira sur la bride pour faire faire demi-tour à
sa monture. Des larmes de douleur l’aveuglaient, mais il comptait sur son
cheval pour trouver le chemin du retour.
Une autre flèche jaillit de la pénombre en bourdonnant et se
planta dans son dos, lui perçant le cœur. L’éclaireur tomba sous l’impact, glissa
par-dessus l’encolure de sa bête, qui aurait détalé si deux hommes ne s’étaient
précipités sur elle et n’avaient saisi les rênes.
— Il est mort, dit l’archer à l’homme qui l’accompagnait.
Djalal al-Din lui posa une main sur l’épaule.
— Joli coup, avec ce peu de lumière.
L’archer haussa les épaules, défit la corde de son arc et la
rangea soigneusement dans une bourse accrochée à sa ceinture. Il savait qu’il
était un bon tireur, peut-être le meilleur que le prince de Peshawar pût offrir.
Son maître l’avait affecté à Djalal al-Din, mais la loyauté de l’archer allait
uniquement au rajah, pas au saint homme en guenilles. Il devait cependant
reconnaître que Djalal al-Din connaissait bien l’ennemi : prévoyant le
comportement de l’éclaireur, il l’avait appâté pour le faire tomber dans le
piège.
Djalal al-Din parut deviner le cours que les pensées de l’archer
avaient pris.
— Prive-les de leurs yeux, et ces Mongols deviennent
tout à coup beaucoup moins redoutables, dit le fils du shah. Dieu a guidé ta
flèche, mon ami.
L’archer s’inclina humblement malgré la fierté qu’il tirait
de son adresse.
— Allons-nous pouvoir libérer la forteresse de Parwan, maître ?
J’ai un vieil ami dans cette ville, j’aimerais que nous puissions l’en sortir
vivant.
— N’en doute pas, répondit Djalal al-Din en souriant. Demain
matin, les Mongols seront aveugles, ils n’auront plus d’éclaireurs. Nous
descendrons des collines et fondrons sur eux comme une avalanche.
À l’aube, le soleil révéla les terres arides entourant
Parwan et la forteresse qui se dressait derrière. Quatre minghaans assiégeaient
la haute tour du château, vestige des temps où des bandes de pillards écumaient
la région. Les habitants de la ville avaient abandonné leurs foyers pour se
ruer derrière ses murs, en sécurité pour un temps.
Les Mongols avaient totalement cerné la forteresse en
sachant qu’elle manquerait bientôt d’eau. Ils pouvaient abreuver leurs chevaux
à la rivière profonde qui traversait la vallée alors que les habitants réfugiés
dans la forteresse n’avaient que de la poussière dans la gorge. Des guerriers
du khan parcouraient la ville déserte pour tromper l’attente. D’autres avaient
construit un pont pour pouvoir chasser sur les pentes boisées de l’autre rive. Ils
n’étaient pas pressés. La forteresse tomberait et une ville de plus accepterait
un nouveau maître ou serait totalement rasée. Savourant une oisiveté bienvenue,
les officiers regardaient les ombres qui s’étiraient sur le sol sec. Ils n’avaient
pas besoin de cette ville ni de ce qu’elle contenait, mais elle se trouvait sur
une route de l’Ouest et Gengis avait ordonné d’en prendre le contrôle.
Au cours des deux années écoulées depuis que le khan et Süböteï
avaient combattu les Assassins, ce genre d’opération était devenu monnaie
courante. Il ne manquait pas de guerriers mutilés ou vieux pour tenir les forts
jalonnant la route. Le tribut venait sous forme d’or, d’esclaves ou de chevaux
et, à chaque saison qui passait, les Mongols resserraient leur emprise sur les
terres afghanes. Il se trouvait toujours des obstinés pour refuser de courber
la tête devant leurs nouveaux maîtres, mais s’ils prenaient les armes ils
étaient exterminés jusqu’au dernier. La vieille tour de pierre de Parwan
convenait aux besoins des Mongols et les habitants de la ville avaient perdu
tout espoir quand leur unique petit puits s’était tari. Ils ne savaient rien
des grandes guerres qui se déroulaient autour d’eux et ne connaissaient que
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