La chevauchée vers l'empire
sans s’occuper de ceux
qui les assaillaient. Une centaine de ses cavaliers avaient traversé et le fils
du shah, avec une terrible lucidité, comprit que les Mongols cherchaient à
couper ses forces en deux : une moitié de son armée resterait bloquée côté
forteresse tandis que les hommes de Gengis se jetteraient sur l’autre comme des
chiens enragés. Face à un tel calme, à une telle habileté tactique, sa frénésie
retomba et il tira sur la bride de son cheval. Il pouvait envoyer ses hommes
massacrer les Mongols qui maniaient la hache. Si le pont tenait, il
exterminerait les guerriers du khan jusqu’au dernier, mais s’il s’effondrait, un
grand nombre de ses hommes mourraient. C’est assez, estima-t-il. Il avait
durement éprouvé un ennemi qui n’avait jamais connu la défaite. Il prit le cor
qui pendait sur sa poitrine au bout d’une lanière. Il avait appartenu à un
éclaireur mongol, mais ses hommes reconnaîtraient sa note aiguë.
Ceux qui n’avaient pas encore atteint le pont firent
demi-tour et reformèrent les rangs, criant déjà victoire. Ceux qui avaient déjà
franchi le pont se replièrent et entreprirent de traverser en sens inverse. Djalal
al-Din constata avec fierté qu’ils exécutaient son ordre sans se poser de
questions, le bouclier levé pour parer les flèches ennemies.
Le pont s’effondra dans un immense éclaboussement. Une
cinquantaine de ses hommes se trouvaient encore de l’autre côté. Il fit avancer
son cheval jusqu’à la berge, sonda l’eau du regard. Trop profond. Ses soldats
seraient peut-être parvenus à faire traverser leurs montures à la nage en d’autres
circonstances, pas avec des archers ennemis qui les décimeraient dès qu’ils
commenceraient à descendre la rive. Djalal al-Din leva son sabre pour saluer
ceux qui l’observaient de l’autre côté de l’eau, amis comme ennemis.
Ses hommes lui rendirent son salut avant de se retourner et
de se ruer sur les Mongols en une ultime charge. Ils furent taillés en pièces, mais
chacun d’eux tomba sans peur, entraînant dans la mort autant d’ennemis qu’il
put.
Les hommes des deux camps s’observaient par-dessus la
rivière, pantelants et couverts de sang. Djalal al-Din vit l’officier mongol
approcher au trot du bord de l’eau. Les deux chefs se regardèrent, puis le
Mongol suivit des yeux la longue traînée de cadavres remontant jusqu’à la
forteresse. Il leva alors son sabre, lui aussi dans un même geste de respect, fit
tourner sa monture et s’éloigna.
— La nouvelle est sur toutes les lèvres dans chaque
ville, dit Kachium avec amertume. Avant, on nous croyait invincibles mais cette
conviction commence à se lézarder, frère. Si nous ne réagissons pas, l’ennemi
prendra confiance et d’autres se rangeront sous la bannière de Djalal al-Din.
— Une escarmouche remportée ne fait pas un général, répondit
Gengis. J’attendrai le retour de Süböteï.
D’un geste agacé, il montra la plaine qu’il avait découverte
à une trentaine de lieues du lac où Kublai et Mongke avaient appris à nager. Les
Mongols ne pouvaient pas rester longtemps à un même endroit. Il était difficile
de trouver une herbe abondante au Khwarezm, mais le monde était vaste et Gengis
avait déjà choisi deux autres endroits où ils pourraient s’installer dans un
mois. C’était leur façon de vivre. Les remarques de Kachium l’avaient irrité. Certes,
l’armée de Djalal al-Din avait tué plus de mille de ses hommes et l’événement
provoquait une certaine agitation dans les cités conquises. Le premier tribut
de la ville afghane de Herat ne lui était pas parvenu et il se demandait si c’était
un simple retard ou si les habitants avaient décidé d’attendre et de voir sa
réaction.
— Les hommes perdus appartenaient à mon tuman, reprit
Kachium. Laisse-moi au moins aller là-bas pour inquiéter ce bâtard de prince. Si
tu ne m’accordes pas une armée, je peux au moins harceler ses lignes, frapper
et disparaître dans la nuit comme nous l’avons fait avant.
— Tu ne dois pas craindre ces paysans. Je m’occuperai d’eux
quand je saurai que Süböteï a trouvé Djötchi.
Kachium retint les questions qu’il aurait voulu poser. Gengis
ne lui avait pas révélé les ordres qu’il avait donnés à Süböteï et, malgré son
désir d’en savoir plus, il n’avait pas envie de supplier le khan de le mettre
au courant. Il avait encore peine à croire que Djötchi
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