La chevauchée vers l'empire
acceptaient les cadeaux et partaient. Ils ne pouvaient
pas reconstruire alors que Gengis descendaient vers le sud et Djebe les
trouvait plus pragmatiques que son propre peuple, plus résignés face au sort
qui élève un homme et en brise un autre sans cause ni raison. Il n’admirait pas
cette attitude mais elle convenait assez bien à ses desseins.
À la fin de la nouvelle lune, ce qu’on appelait ici le mois
du Ramadan, il parvint à une autre chaîne de montagnes au sud du lac en forme
de croissant. Otrar était à l’ouest et plus loin se trouvaient les cités dorées
du shah, dont Djebe pouvait à peine prononcer les noms. Il apprit l’existence
de Samarkand et Boukhara, dont des paysans lui indiquèrent l’emplacement sur
des cartes grossières que Gengis apprécierait. Djebe n’alla pas voir ces places
fortifiées. Quand il le ferait, ce serait avec toute l’armée mongole derrière
lui.
Lorsque la lune disparut, il fit une dernière incursion au
sud dans les collines, notant les sources d’eau et maintenant ses hommes en
forme. Il était presque prêt à rentrer. Bien que son tuman fût resté parti plus
d’une lune, il n’avait pas de yourtes avec lui et il établit son camp dans une
vallée encaissée, avec des éclaireurs postés sur tous les pics environnants. L’un
d’eux revint au camp, son cheval couvert d’écume.
— J’ai aperçu des cavaliers au loin, général.
— Ils t’ont repéré ?
Le jeune guerrier secoua fièrement la tête.
— Impossible. C’était juste avant le coucher du soleil
et je suis rentré immédiatement.
L’homme hésita et Djebe attendit qu’il poursuive.
— J’ai pensé… que c’étaient peut-être des Mongols, à la
façon dont ils montaient. Je n’ai fait que les entrevoir avant que le soir
tombe mais ils étaient six, chevauchant ensemble, et ils pouvaient être des
nôtres.
Djebe se leva, délaissant son repas de lapin.
— Qui d’autre descendrait si loin dans le Sud ? marmonnait-il.
D’un sifflement bas, il ordonna à ses troupes d’arrêter de
manger et de se mettre en selle. Il faisait trop sombre pour galoper mais, avant
le coucher du soleil, il avait relevé une piste traversant les collines et il
ne put résister à l’envie de se rapprocher dans l’obscurité. À l’aube, il
serait en position. Il transmit ses instructions à ses officiers, les laissa en
informer les guerriers. Peu de temps après, ils claquaient doucement de la
langue pour guider leurs montures et former une colonne.
Faute de lune, la nuit était noire mais les hommes
exécutèrent parfaitement ses ordres et il s’adressa un sourire. Si c’était
Khasar, ou mieux encore Süböteï, rien ne plairait davantage à Djebe que
surprendre une force mongole à l’aube. Il mena sa monture au pas pour prendre
la tête de la colonne et envoya des éclaireurs devant lui, sachant que les
autres généraux du khan prendraient plaisir à lui jouer le même tour. À la
différence de ces chefs plus âgés, il avait un nom à se faire et savourait le
défi que constituait une terre nouvelle. L’ascension de Süböteï avait montré
que Gengis faisait passer le talent avant les liens du sang. Toujours.
Djötchi se réveilla parmi les pins sur la pente d’une
colline. Il demeura allongé dans le noir, porta sa main gauche devant son
visage et cligna des yeux. Les Khwarezmiens estimaient que c’était l’aube quand
on pouvait distinguer un fil noir d’un fil blanc et il n’y avait pas encore
assez de lumière pour ça. Il bâilla et sut qu’il ne parviendrait pas à se
rendormir maintenant que son corps mal en point s’était arraché au sommeil. Le
matin, il avait les jambes raides et il commençait chaque journée en massant
avec de l’huile les cicatrices laissées par le fer rouge et les griffes du
tigre. Lentement, il pressa de ses pouces la peau crénelée, grognant de
soulagement tandis que ses muscles se détendaient. Ce fut alors qu’il entendit
un bruit de sabots et la voix d’un de ses éclaireurs appelant dans l’obscurité.
— Par ici, répondit Djötchi.
L’homme descendit de cheval, s’agenouilla devant lui. C’était
une des recrues jin et il lui tendit le pot d’huile pour qu’il le masse en
faisant son rapport. L’éclaireur parla rapidement dans sa langue mais Djötchi
ne l’interrompit qu’une fois pour lui demander le sens d’un mot.
— En trois semaines, nous n’avons pas vu trace d’une
troupe et des
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