La chevauchée vers l'empire
hommes s’approchent maintenant de nous dans le noir, résuma Djötchi,
grimaçant quand les doigts du guerrier jin touchèrent un point sensible.
— Nous pourrions être à des lieues d’ici avant l’aube, suggéra
l’éclaireur à voix basse.
Djötchi secoua la tête. Ses hommes acceptaient volontiers de
se replier si c’était pour tendre une embuscade à l’ennemi, mais s’il battait
simplement en retraite, il saperait la confiance que lui accordaient les
différents groupes de son tuman.
Il jura à mi-voix. Par cette nuit sans lune, impossible de
savoir où était l’ennemi et le nombre d’hommes dont il disposait. Ses meilleurs
pisteurs seraient inutiles. Seul avantage, il connaissait les lieux. La vallée
isolée lui avait servi de terrain d’entraînement pendant deux semaines et il en
avait profité pour endurcir encore ses hommes. Ses éclaireurs et lui
connaissaient tous les sentiers, toutes les cachettes possibles d’un bout à l’autre
de la vallée.
— Envoie-moi les chefs de minghaan, dit Djötchi.
Les dix officiers transmettraient rapidement ses ordres à
chaque groupe de mille de son tuman. Gengis avait mis sur pied ce système qui
fonctionnait parfaitement. Djötchi n’avait fait qu’y ajouter l’idée de Süböteï
de donner un nom à chaque minghaan et à chaque jagun de cent hommes. Cela
réduisait les possibilités de confusion au combat.
L’éclaireur jin rendit le pot d’huile à son général et s’inclina
avant de s’éloigner prestement. Djötchi se leva, constata avec satisfaction que
ses jambes avaient cessé de lui faire mal.
Le temps que ses hommes mènent leurs bêtes au pas sur la
crête derrière laquelle se trouvait la vallée, deux autres éclaireurs étaient
rentrés. Le soleil n’était pas encore levé mais la lumière grise de l’aube du
loup touchait les collines lorsque les hommes sentirent la vie s’animer dans
leurs membres. Remarquant que les éclaireurs riaient, Djötchi fit signe à deux
d’entre eux d’approcher. Ils étaient eux aussi d’origine jin, mais ces
guerriers d’ordinaire impassibles semblaient amusés par quelque chose.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il avec
impatience.
Les deux hommes échangèrent un regard.
— Ceux qui approchent sont des Mongols, général.
Dérouté, Djötchi cligna des yeux. Certes, il distinguait les
visages des éclaireurs dans la faible lumière mais ils avaient chevauché dans l’obscurité
pour le rejoindre.
— Comment le savez-vous ?
L’un d’eux se tapota le nez.
— L’odeur, général. Le vent souffle du nord, on ne peut
pas s’y tromper. Les guerriers du Khwarezm ne s’enduisent pas la peau de
graisse de mouton rance.
Les deux éclaireurs s’attendaient clairement à ce que leur
chef soit soulagé, mais il plissa les yeux et les renvoya d’un geste brusque. Ce
ne pouvait être que le tuman d’Arslan, commandé par le nouveau chef que Gengis
avait promu. Djötchi n’avait pas eu l’occasion de rencontrer Djebe avant que le
khan l’envoie en expédition. Un sourire lui découvrit les dents. Eh bien, il le
rencontrerait maintenant, sur un terrain que Djebe ne pouvait pas connaître
aussi bien que lui.
Djötchi donna de nouveaux ordres et les hommes accélérèrent
l’allure pour arriver à la vallée avant l’aube. Ils avaient tous appris la
présence d’un autre tuman dans les environs et, comme leur général, ils étaient
impatients de montrer ce qu’ils savaient faire. Écraser les armées du shah
Mohammed ne les aurait pas satisfait davantage que jouer ce tour à leurs frères.
Quand le soleil se hissa au-dessus de l’horizon, Djebe s’avança.
Pendant la dernière partie de la nuit, ses guerriers avaient furtivement pris
position autour d’une vallée d’où montaient les bruits des hommes et des
chevaux. Les hennissements portaient loin et Djebe avait laissé derrière
quarante juments en chaleur, là où elles n’appelleraient pas les étalons.
Le jeune général sourit lorsque les premières lueurs du jour
révélèrent le fond de la vallée. Des guerriers s’y affairaient, taches sombres
entourées de toutes parts par des pentes et des rochers escarpés. Les chamanes
racontaient que d’énormes blocs détachés des étoiles étaient tombés sur la
terre et y avaient creusé des vallées. C’était exactement l’impression que
donnait cet endroit. Djebe repéra une crête d’où il pourrait diriger la
manœuvre
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