La Chimère d'or des Borgia
égyptienne du printemps dernier et la recherche de la Reine inconnue. Une expérience plus spirituelle que sensuelle, une plongée dans un rêve idéal dont Aldo avait espéré qu’elle mettrait son ami définitivement à l’abri d’un quelconque coup de passion. Et là, en l’observant, il en était moins sûr. Or la réputation de la Torelli lui faisait redouter le pire !
Quelqu’un d’autre observait aussi le phénomène. Pauline, qui depuis une traversée sur l’Île-de-France jusqu’à la « Season » de Newport, avait suivi, en même temps qu’Aldo, les développements délirants de l’aventure de l’égyptologue avec Alice Astor qui se prenait pour la réincarnation d’une épouse de Pharaon. Détestant la Torelli tout en rendant justice à sa beauté, son talent et sa voix, elle redoutait en amie affectueuse de le voir se prendre à ses charmes. Quant à Marie-Angéline, elle était l’image même de l’accablement : depuis l’an passé, elle hébergeait Adalbert dans son cœur virginal et, quand elle risquait les yeux vers lui, c’était avec une expression douloureuse qu’on ne lui avait jamais vue.
Se détournant sur son siège, Pauline chercha le regard d’Aldo – qu’elle n’eut d’ailleurs aucune difficulté à rencontrer car il était fixé sur elle – et lui désigna Adalbert d’un mouvement de tête auquel il répondit par un haussement d’épaules fataliste… Comme elle l’en priait d’un geste de la main, il se pencha vers elle.
— Vous êtes vraiment obligé de partir demain ? chuchota-t-elle.
— N’oubliez pas que j’ai des affaires importantes et que je ne peux pas laisser constamment mon travail à mes assistants !
— C’est grandement dommage. Notre Adalbert n’aura plus de garde-fou. Combien de temps cette femme reste-t-elle à Paris ?
— Je n’en ai pas la moindre idée. Vous voudriez que j’attende qu’elle reparte ? Cela ne servirait à rien. S’il est vraiment mordu, il va la suivre comme un toutou là où elle ira… à moins qu’ils ne s’entre-tuent, lui et Wishbone ? Je crois que nous pouvons seulement prier.
— De toute façon, souffla M me de Sommières qui avait entendu, la peur n’évite pas le danger.
À la pause du deuxième acte on ne bougea pas. Cornélius servit à ses hôtes du champagne et des petits toasts au caviar, ce qui ne l’empêcha pas d’entretenir avec Adalbert un duo extatique voué au charme, à la beauté et au talent de la cantatrice qui finit par agacer la marquise.
— Où est votre courtoisie, Messieurs ? Nous sommes venus entendre une artiste admirable, j’en conviens, mais ce n’est pas une raison pour ne parler que d’elle ! Nous sommes là, il me semble, et nous avons des oreilles pour apprécier.
— Je demande le pardon, dit Cornélius, mais avouez que c’est une très grande artiste !
— J’admirerai tout ce que vous voulez, si vous m’offrez une autre coupe de champagne. Lui aussi est admirable !
Et l’on papota joyeusement de choses et d’autres… sauf Adalbert qui paraissait plongé dans un état second !
Enfin, quand le quatrième acte se fut achevé et que « Violetta » eut rendu l’âme, vint le moment tant attendu où Wishbone entraîna ses amis vers les coulisses, saluer et complimenter l’héroïne de la soirée…
Guidés par lui au comble de l’excitation, on gagna l’étage des loges où il y avait affluence, mais l’Américain jouissait apparemment d’une sorte de laissez-passer car, suivi des autres que Fanchetti s’était hâté de rejoindre, il put fendre la foule escorté de ses invités sans trop soulever de protestations. Enfin la porte de la bienheureuse loge se referma sur eux. Sauf Marie-Angéline qui, déclarant mourir de chaleur, alla s’asseoir sur le tabouret libéré par le pompier de service.
La loge – la plus spacieuse bien sûr ! – ressemblait à une serre tant elle débordait de bouquets – de roses et de camélias de préférence –, ainsi que d’écrins sur la table à coiffer devant le miroir ovale entouré d’ampoules électriques. La prima donna, qui avait pris le temps de troquer sa chemise de nuit d’agonisante contre une tenue de ville, reçut ses visiteurs debout. Vue de près, portant encore son maquillage de scène qui la rendait plus pâle mais faisait ressortir davantage ses magnifiques yeux, elle semblait moins jeune que sous l’éclairage du plateau, mais sa beauté n’en était pas amoindrie. Elle eut un
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