La Chimère d'or des Borgia
chère Pauline, vous savez que je suis malheureux loin de vous…
— Il faudra tout de même vous y habituer, répondit-elle en riant. Il n’entre pas dans mes intentions de passer ma vie à Paris. Mon atelier me manque, sans compter ma famille et quelques amis !
— Au fait, demanda Aldo, comment va votre Helen ?
— État stationnaire ! Ni mieux ni plus mal et je ne vous cache pas que cela me tourmente. En vérité, je ne sais plus que faire !
— Si vous voulez me permettre un conseil, chère Pauline, répondit Tante Amélie, vous devriez repartir et reprendre le cours normal de votre existence. Le Ritz est certes agréable mais il ne vaudra jamais la maison que l’on s’est choisie ou que nos ancêtres nous ont choisie.
— Mais abandonner Helen…
— Où prenez-vous qu’elle sera abandonnée ? Ne sommes-nous pas là ? De plus elle est sous la protection du commissaire Langlois. Si elle se réveillait, c’est lui qui serait prévenu en premier et vous pouvez être assurée qu’il nous le fera savoir et que vous seriez avertie aussitôt. Mais je suis persuadée qu’il câblerait lui-même à votre frère… et cinq jours en mer ne sont pas…
— … la mer à boire, justement ! coupa Adalbert. Je suis là, moi aussi, et je pense que nous n’aurons aucune peine à obtenir des autorisations de visite afin de veiller à ce que Miss Adler ne manque de rien. Croyez-en notre marquise : rentrez chez vous en toute quiétude ! Elle sera sous bonne garde.
— Vous êtes vraiment des amis comme on n’en fait plus et je vous remercie infiniment ! Et vous, Aldo, vous ne dites rien ?
— Que puis-je ajouter ? Que si l’on a besoin de moi j’accourrai. Venise, elle non plus, n’est pas si loin.
— Vous restez encore quelque temps ?
— Non. Je pars demain. À regrets, ne put-il s’empêcher de préciser, mais je pars…
L’entracte s’achevait.
— Vous ne voulez vraiment pas de moi ? soupira Fanchetti.
— Eh non ! répondit Pauline en riant. Nous sommes au complet et vous serez tellement mieux dans votre confortable fauteuil. On se reverra demain…
— Bien ! Mesdames, mes hommages désolés !
Il franchit la porte au moment où Wishbone revenait, visiblement soucieux. La vue de l’Italien n’arrangea rien.
— Qu’est-ce qu’il voulait, celui-là ?
— C’est un ami de Mrs Belmont, le renseigna M me de Sommières. Il venait nous saluer !
— Ah ? Je ne sais pas pourquoi, mais il a une tête qui ne me revient pas ! À New York il était en permanence dans les jupons de Lucrezia ! Et à ce propos, j’ai une mauvaise nouvelle : notre diva refuse d’aller souper au Café de Paris.
— Pourquoi ? demanda Adalbert, à l’évidence déçu. L’endroit ne lui plaît pas ?
— Oh si, elle vous dira elle-même combien elle regrette – car elle compte bien que je vous amène près d’elle à la fin du spectacle ! – mais elle n’a pas envie de souper. Elle se sent un peu lasse et elle a toussé deux ou trois fois.
— Cela ne devrait pas vous inquiéter, sourit la marquise. Elle répétait son rôle. Elle va tousser abondamment avant de trépasser sous nos yeux…
La salle s’éteignait à nouveau tandis que l’orchestre interprétait un court prélude avant que le rideau ne se relevât sur le salon ensoleillé d’une maison de campagne aux environs de Paris.
Comme au premier acte, la Torelli était en scène, seule avec l’homme qu’elle aimait, plus « jeune fille » qu’au premier acte grâce à une robe d’organdi blanc semé de petites fleurs. Elle tenait à la main la grande capeline fleurie qu’elle était censée avoir retirée en rentrant du jardin. Et le sortilège joua de nouveau.
Jetant un regard sur Adalbert, Aldo put constater qu’il nageait en pleine béatitude… Penché en avant, les coudes aux genoux, il dévorait des yeux la cantatrice avec, aux lèvres, un sourire qui en disait long.
« Le revoilà en train de tomber amoureux, pensa-t-il non sans un frémissement. Dieu sait ce qui risque de nous arriver ! »
Morosini ne se souvenait que trop de l’épisode Alice Astor où son Adalbert s’était laissé enchaîner par une créature aussi rouée, aussi dépourvue de sentiments que sa mère, Ava, qui était peut-être la femme la plus redoutable de toute la planète car elle joignait à une grande beauté le cœur le plus sec et le plus phénoménal égoïsme qui soit. Cela lui avait valu une cuisante expérience, heureusement effacée par l’aventure
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