La chute de l'Empire Romain
Galla Placidia avait repris sa place.
14.
De cette longue, interminable chevauchée vers Ravenne, Galla Placidia n’avait gardé que des bribes de souvenirs épars, qu’en cet an 440, lors de ses retrouvailles avec son passé, elle avait tenté de rassembler.
Mais peut-être avait-elle enfoui si profondément en elle ces souvenirs-là qu’ils étaient à jamais perdus, dissimulés pour toujours comme l’était le corps d’Alaric au fond de cette fosse creusée dans le lit d’un torrent dont elle n’avait jamais connu le nom.
Et pourtant ces semaines, ces mois-là avaient été l’un des grands moments de sa vie, quand elle avait demandé à Athaulf de dresser un camp, d’envoyer des ambassadeurs à Ravenne, d’attendre le retour d’un messager de son frère, l’empereur d’Occident, Honorius, car c’était à lui qu’elle voulait parler, afin de faire part à l’empereur des décisions qu’elle avait prises, et de connaître ce qu’il en était de l’empire d’Occident.
Athaulf avait, en quelques ordres lancés d’une voix gutturale, fait arrêter la horde, et les Goths avaient aussitôt commencé à se répandre dans la campagne, à revenir avec du sang encore rouge sur leur tunique en poussant devant eux des captifs, des animaux.
Ils avaient commencé à allumer des brasiers, certains avaient lancé des cris de joie en entendant grésiller la viande embrochée, et d’autres avaient dansé.
Sans doute est-ce à ce moment-là que Galla Placidia avait décidé de faire de cette horde l’armée d’un nouvel empire qui serait romain puisqu’elle en serait l’impératrice mais dont, sous le marbre, les soubassements et les murs seraient goths.
Cette première nuit de halte, d’attente du messager qu’Honorius avait sûrement décidé d’envoyer, elle avait dit à Athaulf, roi des Goths, qu’elle avait l’intention de l’épouser, elle, la fille de l’empereur Théodose le Grand.
Puis tendant le bras dans la direction de Ravenne, elle avait ajouté qu’il ne serait plus seulement le roi des Goths, héritier d’Alaric, mais qu’il entrait par le mariage dans la famille des empereurs romains.
Et les Goths deviendraient citoyens de cet Empire.
Elle, Galla Placidia, lui apportait le sang de la Rome impériale et la vraie religion chrétienne.
Lui, Athaulf, lui donnait sa force.
Ainsi l’empire d’Occident affaibli, ainsi Rome souillée retrouveraient-ils leur gloire, leur puissance et étendraient-ils la Pax romana d’un bout à l’autre de l’Italie, en Gaule, et peut-être en Orient.
Et l’on pourrait ériger une nouvelle statue de la Virtus.
Athaulf l’avait écoutée sans bouger, puis il avait posé ses deux mains sur les épaules de Galla Placidia.
Elle avait tremblé et elle s’était allongée sur les tapis qui couvraient le plancher du char.
Et Athaulf s’était approché.
Puis s’étendait sur la mémoire de Galla Placidia une longue période obscure, d’où émergeaient ici et là des événements.
Le messager d’Honorius était arrivé seul, Honorius gardant les ambassadeurs goths en otages jusqu’au retour de son représentant.
Celui-ci, un eunuque fardé, avait avec grandiloquence raconté la victoire d’un général glorieux, Constance, sur l’usurpateur Constantin qui se prétendait maître de la Gaule et de l’Afrique. La tête de l’imposteur avait été envoyée à Honorius, qui l’avait fait exposer à Rome puis à Carthage.
Galla avait écouté, mais quand l’envoyé d’Honorius s’était penché vers elle, lui rapportant que l’empereur Honorius attendait son retour à Ravenne afin qu’elle épouse ce général victorieux et superbe, Constance, et que celui-ci l’attendait avec impatience, Galla avait renvoyé l’eunuque.
Elle voulait épouser, elle épouserait le roi des Goths, Athaulf, et ainsi l’Empire romain retrouverait sa force d’autrefois, quand régnait Théodose le Grand.
Galla Placidia se souvient de son impatience.
Elle abandonne le char où elle a vécu, recroquevillée depuis le sac de Rome, le 24 août 410, quand pour Alaric elle n’était qu’une otage qui permettrait d’obtenir une forte rançon de l’empereur d’Occident.
Maintenant, elle chevauche aux côtés d’Athaulf.
Le roi goth ne veut pas affronter les troupes romaines du général Constance, ce prétendant victorieux, qu’on dit de fière prestance, de grand talent militaire et de dévorante ambition.
Galla se tait, mais elle est
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