La chute de l'Empire Romain
les lois, sans lesquelles il n’y a point d’État.
« Il avait donc voulu du moins acquérir la gloire de restaurer l’Empire, d’augmenter l’éclat du nom romain à l’aide des forces des Goths. »
C’était aussi le désir et le rêve de Galla Placidia.
15.
Galla Placidia avait voulu ne plus se souvenir de ce qui avait suivi le temps des noces et des fêtes, ces quelques mois de l’année 414 où, chaque jour, de nobles et riches citoyens romains de Narbonne faisaient déposer par leurs esclaves devant sa demeure des corbeilles de fruits et de fleurs, des jarres d’huile et de vin, des tissus aux couleurs vives qui, pour parvenir jusqu’à elle, avaient traversé les déserts et les mers, échappé aux tribus des Huns qui comme des meutes de loups rôdaient, attaquant les caravanes, pillant et empalant les marchands.
Elle pensait à cela maintenant, mais en l’an 414 − elle n’avait pas vingt-cinq ans − elle s’était laissé bercer par les vents qui soufflaient de la mer, et la douceur de ce climat aux crépuscules rouges avait rappelé à Galla Placidia Rome et ses couleurs ocre.
Elle avait cru qu’elle allait vivre ainsi une longue saison romaine, et qu’après quelques mois passés à Narbonne aux côtés d’Athaulf, ils rejoindraient Ravenne, puis Rome, et que l’empereur d’Occident Honorius les accueillerait auprès de lui, parmi ses plus proches puisqu’elle était sa sœur.
Il élèverait à la dignité de généralissime ou de consul son beau-frère, roi des Goths, qui n’aspirait qu’à devenir le plus fidèle des défenseurs de l’Empire romain.
Elle avait cru tout cela, et elle aurait voulu ne plus se souvenir de ce qui avait suivi.
Mais comment oublier cette nuit du printemps de l’an 414, sans doute quatre ou cinq mois après les noces, quand elle avait eu la sensation que son corps, tout à coup, se dédoublait, qu’elle portait dans son ventre une vie nouvelle, qui semblait se débattre, donnant des coups brusques, si inattendus que Galla Placidia en avait eu le souffle coupé ?
Les matrones s’étaient rassemblées autour d’elle. Elles avaient posé leurs mains sur le corps de Galla, et elles avaient commencé gravement à réciter des prières puis elles avaient formé une ronde autour d’elle, lui annonçant que l’enfant qu’elle portait serait un mâle, dont la destinée serait glorieuse.
Galla Placidia avait voulu rester seule, les mains croisées sur son ventre, et lorsqu’elle avait annoncé à Athaulf qu’elle allait être mère d’un fils, elle avait eu l’impression que sa peau était recouverte d’une sueur brûlante.
Et ce jour-là, Athaulf avait enlacé Galla Placidia et dit que leur fils se nommerait Théodose, comme Théodose I er le Grand, le père de Galla, et comme Théodose II, empereur d’Orient, qui avait succédé à Arcadius, frère de l’empereur d’Occident, Honorius, et de Galla Placidia.
Elle avait murmuré : « Théodose le Grand », comme si elle allait donner naissance à son propre père.
C’était cela qu’elle avait imaginé ! Ce projet, Dieu le réalisait.
Honorius était sans descendance. C’était elle, Galla Placidia, qui serait la mère du futur empereur d’Occident. Et « son » Théodose unirait par sa naissance Galla, fille de la Rome impériale, et Athaulf, roi des Goths.
Elle avait remercié Dieu d’avoir permis cette union.
Elle avait été fière d’avoir par sa Virtus suscité la bienveillance et la protection de Dieu.
C’est à cet instant-là qu’elle aurait voulu interrompre le déroulement de ses souvenirs, avant que le ciel noir de la douleur ne la recouvre.
Mais les souvenirs l’envahissaient comme une longue plainte, une succession de sanglots, et elle revoyait le corps raidi, blanc comme un éclat de marbre de son fils, Théodose, mort quelques semaines après sa naissance.
Le corps était si froid que Galla Placidia posant ses mains sur le front de son fils n’avait pu retenir un cri.
Elle s’écartait, retirant ses mains, comme si elle s’était brûlée.
Alors qu’elle était recroquevillée sur sa douleur, des envoyés de l’empereur d’Occident apportaient la nouvelle qu’Honorius refusait de reconnaître le mariage de sa sœur avec le roi barbare Athaulf.
Les envoyés ajoutaient que l’empereur avait donné l’ordre au général Constance de contraindre les Goths à quitter Narbonne, afin de se rendre en Espagne, d’en chasser les Suèves
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