La Chute Des Géants: Le Siècle
été bonne pour moi. Je suis désolée pour monsieur Walter et j’espère
que vous continuerez à me confier vos soucis.
— Comme vous êtes gentille ! »
De nouvelles larmes perlèrent aux yeux de Maud. « Merci, merci beaucoup,
Williams. » Elle étreignit la main d’Ethel puis la lâcha.
Ethel ramassa le plateau et se
retira. Lorsqu’elle arriva à la cuisine, Peel, le majordome, lui demanda :
« Vous avez fait une bêtise ? »
Si tu savais, se dit-elle. « Pourquoi ?
— Monsieur le Comte veut
vous voir dans la bibliothèque à dix heures et demie. »
L’affaire se réglerait donc par
un entretien, songea Ethel. Peut-être était-ce préférable. Ils seraient séparés
par un bureau et elle ne serait pas tentée de se jeter dans ses bras. Cela l’aiderait
à contenir ses larmes. Il fallait qu’elle garde la tête froide. Cette
discussion déterminerait le reste de sa vie.
Elle se consacra à ses tâches
domestiques. Ty Gwyn allait lui manquer. Au fil des années passées entre ses
murs, elle en était venue à apprécier l’élégance des meubles anciens. Elle
avait appris leurs noms et savait désormais identifier une torchère, un buffet,
une armoire et un guéridon. Pendant qu’elle époussetait et astiquait, elle
examinait la marqueterie, les festons et les volutes, les pieds en patte de
lion enserrant une boule. De temps à autre, quelqu’un comme Peel lui disait :
« C’est français, Louis XV », et elle s’était rendu compte que
chaque pièce était meublée dans un seul style, baroque, néoclassique ou
gothique. Jamais plus elle ne vivrait au milieu d’un tel mobilier.
Au bout d’une heure, elle se
dirigea vers la bibliothèque. C’étaient les ancêtres de Fitz qui l’avaient
constituée. Ces temps-ci, elle n’était guère fréquentée : Bea n’appréciait
que les romans français et Fitz ne lisait pas du tout. Les invités s’y
réfugiaient parfois pour y trouver la tranquillité ou jouer avec le splendide
échiquier d’ivoire posé sur la grande table. Ce matin-là, conformément aux
instructions d’Ethel, on avait partiellement tiré les rideaux pour protéger la
pièce du soleil de juillet et lui conserver sa fraîcheur. L’ambiance y était
sinistre.
Fitz avait pris place dans un
fauteuil de cuir vert. À sa grande surprise, Ethel le découvrit en compagnie d’Albert
Solman, vêtu d’un costume noir et d’une chemise à col amidonné. Avocat de
formation, Solman était un « agent d’affaires », ainsi que disaient
les gentlemen édouardiens. Il gérait la fortune de Fitz, contrôlait les revenus
qu’il retirait de ses mines et de ses propriétés foncières, payait les factures
et distribuait les gages du personnel. Il s’occupait également des contrats, de
location et autres, et, de temps en temps, attaquait en justice les imprudents
qui cherchaient à léser Fitz. Ethel l’avait déjà croisé et elle ne l’aimait
guère. C’était le genre d’homme qui croit tout savoir. Peut-être en allait-il
de même de tous les avocats, elle l’ignorait : elle n’en avait jamais
connu d’autre.
Fitz se leva, manifestement gêné.
« J’ai mis Mr Solman dans la confidence, annonça-t-il.
— Pourquoi ?» Ethel
avait dû promettre de ne rien dire à personne. Que Fitz se soit confié à son
avocat lui apparaissait comme une trahison.
Fitz prit l’air contrit – spectacle
rare s’il en était. « Solman va vous détailler les termes de ma
proposition, reprit-il.
— Pourquoi ? »
répéta Ethel.
Fitz lui adressa un regard
suppliant, comme pour la prier de ne pas lui compliquer les choses.
Elle n’éprouvait aucune
compassion pour lui. Sa situation était des plus pénibles, pourquoi lui
aurait-elle facilité cette corvée ? « Qu’y a-t-il que vous craigniez
de me dire vous-même ?» lui lança-t-elle.
Il avait perdu toute son
assurance, toute son arrogance. « Je laisse à Mr Solman le soin de vous l’expliquer »,
dit-il, et, à son grand étonnement, il quitta la pièce.
Quand la porte se fut refermée
derrière lui, elle fixa Solman du regard en se demandant : Comment puis-je
parler de l’avenir de mon bébé avec cet étranger ?
Solman lui sourit. « Alors,
on n’a pas été sage, hein ? »
Cette familiarité la froissa. « Avez-vous
tenu les mêmes propos au Comte ?
— Quelle idée !
— Il ne s’est pas mieux
conduit que moi, vous savez. Il faut être deux pour faire un
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