La Chute Des Géants: Le Siècle
parce qu’il avait annulé leur voyage
en Russie. Si elle apprenait qu’il avait engrossé l’intendante, sa colère
serait incontrôlable.
Son terrible secret était entre les
mains d’une domestique.
Il était rongé d’inquiétude. Quel
terrible châtiment pour son péché ! En d’autres circonstances, il se
serait réjoui d’avoir un enfant avec Ethel. Il aurait logé la mère et le bébé
dans une petite maison de Chelsea où il leur aurait rendu visite chaque
semaine. Ce rêve poignant lui inspira un élan de regret et de nostalgie. Il ne
voulait pas traiter Ethel avec dureté. L’amour qu’elle lui portait était d’une
telle douceur, il tenait tant à ses baisers avides, ses tendres caresses, la
chaleur de sa passion juvénile. Au moment même où il lui annonçait la mauvaise
nouvelle, il aurait souhaité faire glisser ses mains le long de son corps
souple et sentir ses lèvres affamées lui embrasser le cou avec cette ardeur
dévorante qui le grisait. Mais il avait dû s’endurcir.
Non contente d’être la femme la
plus excitante qu’il ait jamais embrassée, elle était intelligente,
remarquablement informée et amusante. Son père lui parlait régulièrement de l’actualité,
lui avait-elle confié. Et l’intendante de Ty Gwyn avait le droit de lire le
journal du Comte une fois que le majordome avait fini de le parcourir – une
règle qui régnait à l’office, à son insu. Ethel lui posait des questions
inattendues auxquelles il ne savait pas toujours répondre, comme : « Qui
dirigeait la Hongrie avant les Autrichiens ?» Cela lui manquerait,
pensa-t-il tristement.
Mais elle refusait de se conduire
comme une maîtresse abandonnée était censée le faire. Solman était encore sous
le coup de la conversation qu’il avait eue avec elle. « Mais que veut-elle ?»
lui avait demandé Fitz. L’agent d’affaires n’en avait aucune idée. Fitz
craignait qu’elle n’ait l’intention de tout révéler à Bea, poussée par un sens
de la morale aberrant qui exigeait que la vérité éclate au grand jour. Mon
Dieu, pourvu qu’elle ne parle pas à ma femme, supplia-t-il.
Il fut surpris de découvrir la
silhouette rondouillarde de Percival Jones traverser la pelouse en culotte de
golf verte et en chaussures de marche. « Bonjour, monsieur le comte, dit
le maire en soulevant son feutre marron.
— Bonjour, Jones. » En
tant que directeur de Celtic Minerals, Jones était à l’origine d’une bonne
partie des richesses de Fitz. Néanmoins, il n’aimait pas cet homme.
« Les nouvelles ne sont pas
bonnes, déclara Jones.
— Les nouvelles de Vienne,
voulez-vous dire ? Si j’ai bien compris, l’empereur d’Autriche-Hongrie n’a
pas encore fini de rédiger son ultimatum à la Serbie.
— Non, je parle de l’Irlande.
Les Ulstériens refusent d’accepter le Home Rule. Ils seraient relégués
au rang de minorité sous l’autorité d’un gouvernement papiste. L’armée est
prête à se mutiner. »
Fitz se renfrogna. Il n’aimait
pas qu’on parle de mutinerie dans l’armée anglaise. C’est d’un ton raide qu’il
déclara : « Peu importe ce que racontent les journaux, je ne crois
pas que des officiers anglais puissent désobéir aux ordres de leur gouvernement
souverain.
— Mais ils l’ont déjà fait !
protesta Jones. Avez-vous oublié la mutinerie du Curragh ?
— Personne n’a désobéi aux
ordres.
— Cinquante-sept officiers
qui démissionnent quand on leur ordonne de marcher sur les volontaires
ulstériens… Peut-être n’est-ce pas une mutinerie à vos yeux, monsieur le comte,
mais vous êtes le seul à le penser. »
Fitz grommela. Malheureusement,
Jones avait raison. En vérité, les officiers anglais refusaient d’attaquer
leurs compatriotes pour défendre une bande de catholiques irlandais. « On
n’aurait jamais dû promettre l’indépendance à l’Irlande, dit-il.
— Je partage votre avis,
déclara Jones. Mais je souhaitais vous entretenir de tout autre chose. »
Il désigna les enfants assis sur leurs bancs devant les tables à tréteaux,
dévorant leur morue au chou. « J’aimerais que vous mettiez un terme à
ceci. »
Fitz n’appréciait guère que ses
inférieurs lui dictent sa conduite. « Je n’ai pas envie de laisser mourir
de faim les enfants d’Aberowen, même si c’est par la faute de leurs parents.
— Cela n’a qu’un résultat :
prolonger la grève. »
Les revenus que Fitz touchait
pour chaque
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