La Chute Des Géants: Le Siècle
passée.
— Cela risque de prendre
plus de quelques jours.
— Dans ce cas, nous verrons
ce qu’il convient de faire.
— J’agirai comme tu le
voudras, naturellement.
— Je t’aime, Walter. Quoi qu’il
advienne, je veux être ta femme. »
Il lui baisa la main. « Merci,
dit-il d’un ton solennel. Tu as fait de moi un homme heureux. »
6.
Un lourd silence pesait sur la
maison de Wellington Row. Pendant le repas, personne ne dit grand-chose. Billy
était dévoré par une fureur qu’il ne pouvait exprimer. L’après-midi venu, il
partit dans la montagne et marcha seul des heures durant.
Le lendemain matin, l’histoire du
Christ et de la femme adultère lui revenait sans cesse à l’esprit. Assis dans
la cuisine, vêtu de ses habits du dimanche, attendant d’accompagner ses parents
au temple Bethesda pour le partage du pain, il ouvrit sa bible et parcourut l’Évangile
selon saint Jean. Il trouva le chapitre VIII , qu’il lut et relut. La
crise qu’il évoquait ressemblait tant à celle qui frappait sa famille.
Il continua à y réfléchir pendant
l’office. Parcourant l’assemblée du regard, il s’arrêta sur ses amis et voisins :
Mrs Dai Cheval, John Jones l’Épicerie, Mrs Ponti et ses deux grands
fils, Graisse-de-rognon Hewitt… Ils savaient tous qu’Ethel avait quitté Ty Gwyn
la veille et avait acheté un billet de train pour Paddington, et, s’ils
ignoraient la raison de son départ, ils n’avaient pas de mal à la deviner. Ils
la jugeaient déjà. Le Christ, lui, ne la jugeait pas.
Pendant les cantiques et les
prières improvisées, il lui sembla que le Saint-Esprit lui inspirait la lecture
de ces versets. Vers la fin du culte, il se leva et ouvrit sa bible.
On entendit quelques murmures
surpris. Il était bien jeune pour diriger les fidèles. Néanmoins il n’y avait
pas de limite d’âge : le Saint-Esprit touchait qui il voulait.
« Quelques versets de l’Évangile
de Jean. » Un léger tremblement perçait dans sa voix, qu’il s’efforça de
réprimer.
« Maître, lui dirent-ils,
cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. »
Un silence absolu se fit dans le
temple : personne ne bougeait, ne chuchotait, ni ne toussotait.
Billy reprit : « Dans
la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu ?
Ils parlaient ainsi dans l’intention de lui tendre un piège, pour avoir de quoi
l’accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à tracer du doigt des traits sur le
sol. Comme ils continuaient à lui poser des questions, Jésus se redressa et
leur dit… »
Parvenu à ce point, Billy marqua
une pause et regarda l’assistance.
Avec une insistance délibérée, il
reprit : « Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la
première pierre. » Tous les yeux étaient rivés sur lui. Personne ne
bougeait. Billy poursuivit : « Et, s’inclinant à nouveau, il se remit
à tracer des traits sur le sol. Après avoir entendu ces paroles, ils se
retirèrent l’un après l’autre, à commencer par les plus âgés, et Jésus resta
seul. Comme la femme était toujours là, au milieu du cercle, Jésus se redressa
et lui dit : Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ?
Elle répondit : Personne, Seigneur. »
Billy leva les yeux du Livre
saint. Il n’avait pas besoin de lire le dernier verset : il le connaissait
par cœur. Il se tourna vers le visage pétrifié de son père et dit en détachant
ses mots : « Et Jésus lui dit : Moi non plus, je ne te condamne
pas : va, et désormais, ne pèche plus. »
Il attendit un long moment avant
de refermer la bible dans un claquement qui résonna comme un coup de tonnerre. « Ceci
est la parole de Dieu », déclara-t-il.
Puis, au lieu de se rasseoir, il
se dirigea vers la sortie. L’assemblée des fidèles l’observait, fascinée. Il
poussa la grande porte en bois et s’éloigna. Il ne revint plus jamais.
IX.
Fin juillet 1914
1.
Le ragtime donnait du fil à
retordre à Walter von Ulrich.
Il arrivait à jouer les mélodies,
qui étaient très simples. Il arrivait à jouer les accords, dont le plus
fréquent était celui de septième de dominante. Et il réussissait à jouer les
deux ensemble… mais cela ne sonnait pas comme du ragtime. Le rythme lui échappait.
En l’écoutant, on avait l’impression d’entendre une fanfare dans un parc
berlinois. Pour quelqu’un qui jouait sans effort les sonates de Beethoven,
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