La Chute Des Géants: Le Siècle
constata avec soulagement : la Serbie devait
interdire les journaux libéraux, dissoudre la Main noire, une société secrète,
et censurer la propagande nationaliste. Peut-être les modérés l’ont-ils
finalement emporté à Vienne, songea-t-il, satisfait.
Le quatrième point semblait
raisonnable de prime abord – les Autrichiens exigeaient que la fonction
publique serbe soit purgée de tous ses éléments nationalistes –, mais le
venin était dans la queue : la fin du paragraphe précisait que les
Autrichiens eux-mêmes fourniraient la liste des fonctionnaires à révoquer. « Ils
exagèrent, commenta Walter. Le gouvernement serbe ne peut pas destituer tous
les fonctionnaires désignés par l’Autriche. »
Robert haussa les épaules. « Il
n’aura pas le choix.
— Sans doute. »
Peut-être l’accepterait-il pour garantir la paix, espéra Walter.
Mais le pire était à venir.
Le cinquième point stipulait que
l’Autriche aiderait le gouvernement serbe à réprimer la subversion et le
sixième, ainsi que le découvrit Walter consterné, que des magistrats
autrichiens participeraient en Serbie à l’enquête judiciaire relative à l’attentat.
« Jamais la Serbie n’acceptera cela ! protesta-t-il. Ce serait un
abandon de souveraineté. »
Le visage de Robert s’assombrit
davantage. « Si peu, marmonna-t-il avec mauvaise humeur.
— Aucun pays au monde ne
tolérerait une chose pareille.
— La Serbie le fera, sous
peine d’être détruite.
— Par la guerre ?
— S’il le faut.
— Une guerre qui
engloutirait l’Europe entière ! »
Robert agita l’index. « Pas
si les gouvernements européens se montrent raisonnables. »
Contrairement au tien, répliqua
Walter in petto. Il poursuivit sa lecture. Malgré l’arrogance avec
laquelle les autres demandes étaient formulées avec une certaine arrogance, les
Serbes pourraient probablement les accepter : arrestation de tous les
conspirateurs, cessation de la livraison d’armes de contrebande sur le
territoire autrichien, renonciation à toute déclaration hostile à l’Autriche de
la part des fonctionnaires.
Mais l’ultimatum expirait
quarante-huit heures plus tard.
« Fichtre, voilà qui est
dur, remarqua Walter.
— Ceux qui défient l’empereur
d’Autriche ne doivent pas s’attendre à la clémence.
— Je sais, je sais, mais il
ne leur laisse même pas la possibilité de sauver la face.
— Pourquoi le ferait-il ? »
Walter donna libre cours à son
exaspération. « Mais bon sang, c’est la guerre qu’il veut ou quoi ?
— Cela fait plusieurs
siècles que les Habsbourg, la famille de l’empereur, gouvernent de grands pays
d’Europe. L’empereur François-Joseph sait que son destin est de régner sur les
races inférieures. C’est la volonté de Dieu.
— Dieu nous garde des hommes
qui ont un destin, marmonna Walter. Mon ambassade a-t-elle vu cette lettre ?
— Elle la recevra d’une
minute à l’autre. »
Walter se demanda comment
réagiraient les autres. Accepteraient-ils ces exigences, comme l’avait fait
Robert, ou bien seraient-ils scandalisés ? Allait-on assister à travers le
monde à une levée de boucliers ou à des haussements d’épaules diplomatiques ?
Il en aurait le cœur net dès ce soir. Il consulta l’horloge sur le manteau de
la cheminée. « Je vais être en retard. Comptes-tu aller au bal de la
duchesse du Sussex ?
— Oui. Je t’y retrouverai. »
Ils sortirent ensemble et se
séparèrent dans Piccadilly. Walter se dirigea vers la résidence de Fitz, où il
était attendu pour dîner. Il avait le souffle court, comme s’il avait été
assommé. La guerre qu’il redoutait tant s’était dangereusement rapprochée.
Il arriva juste à temps pour
saluer la Princesse Bea, vêtue d’une robe lavande festonnée de rubans de
soie, et pour serrer la main de Fitz, resplendissant en col cassé et nœud
papillon blanc, avant que l’on annonce que le dîner était servi. Il fut ravi de
découvrir que sa cavalière n’était autre que Maud. Elle portait une robe rouge
sombre dont le tissu soyeux la moulait à ravir. Tout en l’escortant vers la
table, Walter la complimenta : « Quelle robe séduisante.
— Paul Poiret »,
dit-elle, citant un couturier si célèbre que même Walter en avait entendu
parler. Elle ajouta en baissant la voix : « Je pensais qu’elle te
plairait. »
Sans être d’une intimité
déplacée, cette remarque lui fit
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