La Chute Des Géants: Le Siècle
majordome, entra : « Herr von Ulrich,
Votre Altesse. »
Il ne s’agissait sûrement pas de
Walter, se dit Maud, surprise. Était-ce Robert ? Tout aussi improbable.
Quelques instants plus tard,
Walter apparut.
Maud était trop interloquée pour
prononcer un seul mot, mais Bea dit : « Quelle agréable surprise,
Herr von Ulrich. »
Walter portait un costume d’été
en tweed bleu-gris pâle. Sa cravate de satin bleu était assortie à ses yeux.
Maud regretta de s’être contentée d’une robe d’intérieur crème qui lui avait
paru convenir parfaitement à un petit déjeuner en tête à tête avec sa
belle-sœur.
« Veuillez pardonner cette
intrusion, princesse, dit Walter à Bea. J’avais à faire à notre consulat de
Cardiff – une stupide histoire de marins allemands qui ont eu des démêlés
avec la police locale. »
Billevesées ! Walter était
attaché militaire, faire libérer des matelots ne relevait pas de ses
attributions.
« Bonjour, Maud, dit-il en
lui serrant la main. Quelle délicieuse surprise de te trouver ici. »
Billevesées, encore ! Il n’était
venu que pour la voir. Elle avait quitté Londres pour lui échapper mais, au
fond de son cœur, elle ne pouvait s’empêcher d’être ravie qu’il l’ait suivie
jusqu’ici. Un peu troublée, elle répondit : « Bonjour, comment vas-tu ?
— Prenez un peu de café,
Herr von Ulrich, proposa Bea. Le Comte est sorti faire du cheval, mais il
ne devrait pas tarder. » Elle supposait tout naturellement que Walter
souhaitait voir Fitz.
« C’est fort aimable à vous. »
Walter s’assit.
« Resterez-vous pour
déjeuner ?
— J’en serai ravi. Mais je
dois reprendre le train de Londres cet après-midi. »
Bea se leva. « Je vais
donner des instructions à la cuisinière. »
Walter bondit sur ses pieds pour
lui tenir sa chaise.
« Bavardez un instant avec Lady Maud,
lança-t-elle en sortant. Essayez de la dérider. Elle s’inquiète de la situation
internationale. »
Walter haussa les sourcils devant
son ton persifleur. « Tous les gens raisonnables s’inquiètent de la
situation internationale. »
Mal à l’aise, cherchant
désespérément quelque chose à dire, Maud désigna le Times. « Crois-tu
vraiment que la Serbie ait rappelé soixante-dix mille réservistes ?
— Je serais surpris qu’elle
dispose de soixante-dix mille réservistes, répondit Walter d’un air grave. Ils
cherchent avant tout à faire monter les enchères. Ils espèrent que le risque d’un
conflit généralisé incitera l’Autriche à la prudence.
— Pourquoi les Autrichiens
mettent-ils aussi longtemps à transmettre leurs exigences au gouvernement serbe ?
— Officiellement, ils
veulent avoir rentré les récoltes avant d’entreprendre quoi que ce soit qui
puisse les obliger à mobiliser. Officieusement, ils savent que le président de
la République française et son ministre des Affaires étrangères sont
actuellement en Russie. Ils ne veulent pas courir le risque que ces deux
puissances alliées s’entendent immédiatement sur une réponse commune. La lettre
autrichienne ne sera envoyée que lorsque le président Poincaré aura quitté
Saint-Pétersbourg. »
Comme il était lucide !
songea Maud. C’était ce qu’elle aimait chez lui.
Il perdit soudain toute sa
réserve. Son masque de courtoisie s’effaça, révélant un visage dévoré d’angoisse.
« Reviens-moi, je t’en supplie », dit-il tout à trac.
Elle ouvrit la bouche pour lui
répondre, mais sa gorge était nouée par l’émotion et aucun son n’en sortit.
« Je sais que c’est pour mon
bien que tu m’as repoussé, mais cela ne marchera pas. Je t’aime trop.
— Pourtant ton père…,
parvint à articuler Maud.
— Son destin est entre ses
propres mains. Je ne peux pas lui obéir, pas sur ce point. » Sa voix se
perdit dans un murmure. « Je ne puis supporter l’idée de te perdre.
— Il a peut-être raison :
un diplomate allemand ne peut pas épouser une femme anglaise, pas en ce moment
du moins.
— Alors, j’embrasserai une
autre carrière. Mais jamais je ne trouverai une autre femme comme toi. »
Elle se sentit fléchir et ses
yeux se mouillèrent.
Il tendit la main au-dessus de la
table pour saiSir la sienne. « Puis-je parler à ton frère ? »
Elle roula en boule sa serviette
en lin blanc pour sécher ses larmes. « Ne dis rien à Fitz. Attends
quelques jours, le temps que la crise serbe soit
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