La Chute Des Géants: Le Siècle
obtenir la paix ?
— Cela revient au même,
dit-il d’une voix dédaigneuse. Quelles que soient les intentions des Allemands,
ce n’est pas une requête polie qui les fera changer d’avis.
— Un homme qui se noie s’accroche
à un fétu de paille.
— Ce n’est pas de cela qu’il
s’agit. Nous sommes en pleins préliminaires rituels d’une déclaration de
guerre. »
Il avait raison, reconnut-elle,
atterrée. Tous les gouvernements souhaitaient pouvoir prétendre qu’ils n’avaient
pas voulu la guerre, mais avaient été contraints de la faire. Fitz semblait
inconscient du danger qui pesait sur lui, comme si à l’issue de cette bataille
diplomatique, il ne risquait pas une blessure fatale. Tout en voulant le
protéger, sa stupide obstination donnait à Maud envie de l’étrangler.
Pour se distraire, elle feuilleta
le Manchester Guardian où une page entière avait été achetée par la
Neutrality League : « Britanniques, faites votre devoir et empêchez
votre pays de prendre part à une guerre stupide et perverse. » Maud était
ravie de constater que certains partageaient encore ses sentiments. En pure
perte assurément.
Sanderson entra, apportant une
enveloppe sur un plateau d’argent. Atterrée, Maud reconnut l’écriture de
Walter. À quoi pensait cette sotte ? N’avait-elle pas compris que la
réponse devait être aussi secrète que la missive initiale ?
Impossible de lire la lettre de
Walter en présence de Fitz. Le cœur battant, elle la prit en feignant l’indifférence
et la posa près de son assiette, puis pria Grout de lui resservir du café.
Elle se replongea dans le journal
pour dissimuler sa panique. Fitz ne censurait pas sa correspondance mais, en
tant que chef de famille, il avait le droit de lire le courrier adressé à toute
parente vivant sous son toit. Aucune femme respectable ne s’y serait opposée.
Elle devait finir son petit
déjeuner le plus vite possible et emporter la lettre sans l’avoir ouverte. Elle
tenta de grignoter un toast, déglutissant avec difficulté.
Fitz leva les yeux du Times. « Tu ne lis pas ta lettre ?» demanda-t-il. À sa grande horreur, il
ajouta : « On dirait l’écriture de von Ulrich. »
Elle n’avait pas le choix.
Décachetant l’enveloppe, elle s’efforça de prendre l’air naturel.
Neuf heures du matin.
Mon très cher amour,
Tout le personnel de l’ambassade
a reçu ordre de faire ses valises, de payer ses factures et de se tenir prêt à
partir dans quelques heures.
Nous ne devons avertir
personne. Dès demain, je retournerai en Allemagne et tu resteras ici, auprès de
ton frère. Tout le monde s’accorde à dire que cette guerre ne durera pas plus
de quelques semaines, quelques mois dans le pire des cas. Dès qu’elle aura pris
fin, si nous sommes toujours en vie, nous annoncerons notre bonheur au monde et
commencerons notre nouvelle vie ensemble.
Et si nous ne devions pas
survivre à la guerre, oh ! le Ciel fasse que nous connaissions une nuit de
félicité en tant que mari et femme.
Je t’aime.
W.
P.-S. : l’Allemagne a envahi
la Belgique il y a une heure.
Maud fut saisie de vertige. Un
mariage secret ! Personne ne saurait rien. Les supérieurs de Walter
continueraient à lui faire confiance, ignorant qu’il avait épousé une ennemie ;
il pourrait se battre comme l’exigeait son honneur et même travailler dans le
renseignement. Les hommes continueraient à courtiser Maud, la croyant
célibataire, mais cela ne lui poserait pas de problème : elle décourageait
les soupirants depuis des années. Ils vivraient séparés jusqu’à la fin de la
guerre, c’est-à-dire quelques mois tout au plus.
Fitz l’arracha à ses pensées. « Que
dit-il ? »
L’esprit de Maud se vida. Fitz ne
devait rien savoir de tout cela. Comment lui répondre ? Elle fixa la
feuille de papier crème et son œil tomba sur le post-scriptum. « Il dit
que l’Allemagne a envahi la Belgique ce matin à huit heures. »
Fitz posa sa fourchette. « Ainsi,
ça y est. » Pour une fois, il paraissait lui-même bouleversé.
« La petite Belgique !
s’écria tante Herm. Ces Allemands sont vraiment des brutes terrifiantes ! »
Soudain confuse, elle ajouta : «Excepté Herr von Ulrich, naturellement. Il
est charmant.
— Au temps pour la requête
polie du gouvernement anglais, commenta Fitz.
— C’est de la folie, se
lamenta Maud. Des milliers d’hommes vont périr dans une guerre dont personne
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