La Chute Des Géants: Le Siècle
maison en catimini.
Sanderson se retira. Il était
trois heures et quart. Maud se dévêtit en hâte puis ouvrit son armoire.
Elle n’avait pas l’habitude de
préparer elle-même ses vêtements – normalement, c’était le travail de sa
femme de chambre. Sa robe noire était accompagnée d’un chapeau à voilette, mais
le noir ne seyait pas à un mariage.
Elle consulta la pendule
au-dessus de la cheminée : trois heures vingt. Il n’y avait plus de temps
à perdre.
Elle choisit une élégante tenue
française. Elle enfila un corsage de dentelle blanche à col montant pour faire
ressortir son long cou. Puis une robe d’un bleu ciel si pâle qu’il en
paraissait presque blanc. Le bas de la jupe laissait entrevoir ses chevilles,
une audace dernier cri. Elle se coiffa d’un chapeau de paille à larges bords de
couleur bleu marine, muni d’une voilette assortie, et prit une ombrelle azur à
liseré blanc. Son sac à main de velours bleu compléterait l’ensemble à
merveille. Elle y glissa un peigne, un flacon de parfum et une culotte propre.
La pendule sonna trois heures et
demie. Walter devait l’attendre dehors. Elle sentit son cœur battre plus fort.
Baissant sa voilette, elle
examina son reflet dans une psyché. Ce n’était pas vraiment une robe de mariée,
mais cela devrait faire l’affaire, du moins dans un bureau d’état civil. N’ayant
assisté qu’à des mariages religieux, elle ne pouvait en être sûre.
Elle retira la clé de la serrure
et colla l’oreille à la porte. Elle ne voulait croiser personne qui puisse lui
poser des questions embarrassantes. S’il s’agissait d’un valet de pied ou d’un
jeune domestique, cela n’aurait guère d’importance car ils se soucieraient peu
de ses allées et venues, mais toutes les bonnes savaient qu’elle était censée
être souffrante et, si elle tombait sur un membre de la famille, elle serait
aussitôt percée à jour. Elle craignait moins l’embarras qui en résulterait que
de se voir empêchée de sortir.
Elle allait ouvrir la porte
lorsqu’elle entendit un bruit de pas et sentit une odeur de tabac. C’était
sûrement Fitz, son cigare d’après déjeuner aux lèvres, qui partait pour la
Chambre des lords ou le club White’s. Elle rongea son frein.
Au bout de quelques instants de
silence, elle passa la tête dans l’embrasure. Le large couloir était désert.
Elle sortit, ferma la porte à clé et glissa la clé dans son sac à main. Toute
personne qui chercherait à entrer dans sa chambre conclurait qu’elle dormait.
Avançant à pas de loup sur le
tapis, elle gagna le palier et regarda au pied de l’escalier. Personne dans le
vestibule. Elle descendit les marches quatre à quatre. En arrivant sur le
palier intermédiaire, elle entendit du bruit et se figea. La porte de la cave s’ouvrit
et Grout apparut. Maud retint son souffle. Elle suivit des yeux son crâne
dégarni tandis qu’il traversait le vestibule, deux carafes de porto à la main.
Il tournait le dos à l’escalier et entra dans la salle à manger sans l’avoir
remarquée.
Comme la porte se refermait
derrière lui, elle descendit la dernière volée de marches en courant, renonçant
à toute prudence. Elle ouvrit la porte d’entrée, la franchit et la claqua
derrière elle. Pour le regretter tout de suite, mais un peu tard.
Le chaud soleil d’août inondait
la rue paisible. Elle la parcourut du regard et aperçut la charrette à cheval d’un
poissonnier, une nounou avec un landau et un chauffeur de taxi occupé à changer
la roue de son véhicule. Cent mètres plus loin, le long du trottoir d’en face,
se trouvait une voiture blanche au toit de toile bleue. Maud, qui aimait les
automobiles, reconnut la Benz 10/30 de Robert, le cousin de Walter.
Ce dernier en descendit tandis qu’elle
traversait la chaussée, et son cœur se gonfla de joie. Il portait un costume
gris perle avec un œillet blanc à la boutonnière. Il la regarda droit dans les
yeux et elle comprit que, jusqu’à cet instant, il n’avait pas été sûr qu’elle
viendrait. Les larmes lui montèrent aux yeux.
Le visage de Walter rayonnait.
Comme il était étrange et merveilleux, se dit-elle, d’apporter un tel bonheur à
quelqu’un !
Elle jeta un regard inquiet vers
la maison. Grout se tenait sur le seuil scrutant la rue d’un air ébahi. Il
avait entendu la porte se refermer, devina-t-elle. Elle se retourna,
déterminée, avec cette seule pensée : enfin libre !
Walter
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