La Chute Des Géants: Le Siècle
satanée
maison ! »
Ethel fronça les sourcils. Aucun
des épiciers d'Aberowen n'en aurait – leurs clients ne pouvaient pas se
permettre un tel luxe. Et il en serait de même dans toutes les villes des
vallées de Galles du Sud. « Si monsieur le Comte me permettait
d'utiliser le téléphone, je pourrais appeler un ou deux marchands de fruits et
légumes de Cardiff, proposa-t-elle. Peut-être auront-ils des oranges à cette
période de l'année.
— Et comment les ferons-nous
venir ?
— Je leur demanderai d'en
mettre une corbeille au train. » Elle se tourna vers la pendule qu'elle
venait de régler. « Avec un peu de chance, elles arriveront en même temps
que le roi.
— Parfait, approuva-t-il. C'est
ce que nous allons faire. » Il la regarda bien en face. « Vous êtes
étonnante. En vérité, je n'ai jamais rencontré de fille comme vous. »
Elle soutint son regard. Au cours
des deux dernières semaines, il lui avait à plusieurs reprises parlé sur ce
ton, avec une familiarité excessive et une certaine impétuosité, une attitude
qui inspirait à Ethel un étrange sentiment, une sorte d'euphorie un peu
trouble, comme si un événement dangereusement palpitant était sur le point de
se produire. Tel l'instant magique où, dans les contes de fées, le Prince pénètre
dans le château enchanté.
Le charme fut rompu par un bruit
de roues dans l'allée, suivi d'une voix familière. « Peel ! Quel plaiSir de
vous voir ! »
Fitz regarda par la fenêtre. Son
visage prit une expression comique. « Oh non ! Ma sœur !
— Bienvenue à la maison, Lady Maud,
dit la voix de Peel. Nous ne vous attendions pas aujourd'hui.
— Le Comte a oublié de
m'inviter, mais je suis venue tout de même. »
Ethel réprima un sourire. Fitz
adorait sa sœur, une jeune femme fougueuse, tout en ayant du mal à la supporter.
Ses opinions politiques étaient d'un libéralisme alarmant : c'était une
suffragette, qui militait activement pour le droit de vote des femmes. Ethel
admirait profondément Maud : exactement le genre de femme à l'esprit
indépendant qu'elle aurait voulu être.
Fitz sortit de la pièce et Ethel
le suivit dans le vestibule, une pièce imposante aménagée dans le style
gothique affectionné des victoriens comme le père de Fitz : lambris
sombres, papier mural à motifs chargés et sièges de chêne sculpté évoquant des
trônes médiévaux. Maud franchissait la porte. « Fitz chéri, comment
vas-tu ? »
Maud était de haute taille, comme
son frère, et ils se ressemblaient beaucoup ; mais les traits sculpturaux
qui donnaient au Comte l'allure d'une statue de dieu antique étaient moins
flatteurs sur une femme, si bien que Maud était plus saisissante que jolie.
Démentant l'image populaire de la féministe négligée, elle était à la pointe de
la mode, avec sa jupe entravée sur des bottines à boutons, un manteau bleu
marine arborant une ceinture surdimensionnée et de larges parements de manches,
et un chapeau orné d'une grande plume fichée sur l'avant, comme le drapeau d'un
régiment.
Elle était flanquée de tante Herm.
Lady Hermia était la seconde tante de Fitz. Contrairement à sa sœur qui avait
épousé un riche duc, Herm s'était mariée avec un baron prodigue, qui était mort
jeune et ruiné. Dix ans auparavant, après le décès des parents de Fitz et Maud
à quelques mois d'intervalle, tante Herm était venue s'installer chez eux
pour servir de mère de substitution à Maud, alors âgée de treize ans. Elle
continuait à jouer le rôle de chaperon, sans grande efficacité.
« Que viens-tu faire ici ? »
demanda Fitz à sa sœur.
Tante Herm murmura : « Je
t'avais dit, ma chérie, que cela ne lui plairait pas.
— Je ne pouvais pas manquer
la visite du roi, répliqua Maud. C'eût été irrespectueux. »
Fitz la mit en garde d'un ton
tendrement exaspéré. « Il n'est pas question que tu parles au roi des
droits des femmes. »
Il n'avait pas lieu de
s'inquiéter, pensa Ethel. Malgré ses idées politiques radicales, Lady Maud
savait flatter les puissants et faire la coquette avec eux. Tout le monde
l'appréciait, même les amis conservateurs du comte.
« Débarrassez-moi de mon
manteau, Morrison, voulez-vous », dit Maud. Elle défit les boutons et se
tourna pour que le valet de pied puisse prendre le vêtement. « Bonjour,
Williams, comment allez-vous ? lança-t-elle à Ethel.
— Bienvenue à la maison,
mademoiselle.
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