La Chute Des Géants: Le Siècle
prétendaient être plus âgés qu’ils n’en
avaient l’air. Dans le bataillon de Billy, il y en avait un, Owen Bevin, qui ne
paraissait pas plus de quinze ans.
« C’est une île qu’on vient
de passer ? demanda George.
— Oui, répondit Billy, l’île
de Wight.
— Oh. J’ai cru que c’était
la France.
— Non, c’est beaucoup plus
loin. »
Le voyage dura jusqu’au lendemain
matin. Il était encore tôt quand ils débarquèrent au Havre. C’était la première
fois de sa vie que Billy posait le pied en terre étrangère. En fait de terre,
ils débarquèrent sur des pavés qui rendaient la marche difficile en godillots
ferrés. Ils traversèrent la ville sous l’œil indifférent de la population.
Billy avait entendu dire que les jolies Françaises, éperdues de reconnaissance,
se pendaient au cou des Anglais qui arrivaient, mais il ne vit que des femmes
entre deux âges, apathiques, les cheveux cachés sous des fichus.
Ils marchèrent jusqu’à un camp où
ils passèrent la nuit. Au matin, ils montèrent dans un train. Ce voyage à l’étranger
était bien moins grisant que Billy ne l’avait espéré. Tout était différent,
certes, mais comme en Grande-Bretagne, il y avait surtout des champs, des
villages, des routes et des chemins de fer. Les champs étaient clos par des
barrières plus souvent que par des haies et les maisons paysannes paraissaient
plus grandes et mieux construites, voilà tout. C’était décevant. À la fin du
jour, ils atteignirent leur cantonnement, un camp récent, immense et constitué
de baraquements montés à la hâte.
Promu caporal, Billy était
responsable de son escouade. Elle comprenait huit hommes, dont Tommy, le jeune
Owen Bevin et George Barrow, l’ancien délinquant. S’y ajoutait un mystérieux
seconde classe d’une bonne trentaine d’années, un certain Robin Mortimer. Comme
ils s’étaient assis pour prendre leur thé avec des tartines de confiture dans
une immense salle qui devait bien abriter un millier d’hommes, Billy lui
demanda : « On est tous des bleus, ici, mais toi, Robin, tu as l’air
d’avoir plus d’expérience. C’est quoi ton histoire ?
— Occupe-toi de tes oignons,
sale Gallois ! » répliqua l’autre avant d’aller s’asseoir à l’écart.
Son accent révélait le Gallois de
bonne éducation, mais contrastait avec son langage typique de la mine. Venant d’un
autre Gallois, l’insulte n’en était pas vraiment une et Billy se contenta de
hausser les épaules.
Quatre groupes de combat
formaient une section ; celle de Billy avait été placée sous les ordres d’un
sergent de vingt ans, Elijah Jones, qui n’était autre que le fils de John Jones
l’Épicerie. Au front depuis un an, Jones faisait figure de vétéran. Jones
fréquentait le temple Bethesda, et Billy le connaissait depuis les bancs de l’école
où il avait reçu le sobriquet de Prophète Jones à cause de son prénom tiré de l’Ancien
Testament.
Prophète avait surpris l’échange
avec Mortimer : « Je lui toucherai un mot, Billy, dit-il. C’est un
foutu crâneur, mais il ne peut pas parler comme ça à son caporal.
— Pourquoi est-il aussi
désagréable ?
— Il était chef de
bataillon, avant. Je ne sais pas trop ce qu’il a fait, mais il est passé en
conseil de guerre et il a été cassé. Il a perdu son rang d’officier. Comme il
était en âge d’être appelé, il l’a été parmi les premiers, comme deuxième
classe. C’est le sort des officiers qui font des conneries. »
Après le thé, on leur présenta
leur chef de section, le sous-lieutenant James Carlton-Smith, un garçon du même
âge que Billy. Raide et embarrassé, il semblait bien trop jeune pour se voir
confier une telle responsabilité. « Soldats, dit-il avec l’accent emprunté
de la haute société, c’est un honneur pour moi que d’avoir été nommé à votre
tête ; je sais que vous serez courageux comme des lions au cours de la
bataille à venir.
— Espèce de sous-bite ! »
marmonna Mortimer.
C’était le surnom qu’on utilisait
dans le jargon de l’armée pour désigner les sous-lieutenants, Billy le savait.
Carlton-Smith leur présenta alors
le commandant de la compagnie B, le Comte Fitzherbert.
« Merde alors !» s’exclama
Billy. Bouche bée, il vit l’homme qu’il détestait le plus au monde grimper sur
une chaise pour s’adresser à la compagnie. Sanglé dans un uniforme kaki à la
coupe impeccable, Fitz tenait
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