La Chute Des Géants: Le Siècle
faisait
qu’accroître l’irritation de Fitz. Pis, elle nourrissait son anxiété. « Il
ne restera plus rien des tranchées allemandes. Elles auront été complètement
détruites.
— J’espère que vous dites
vrai. Mais s’ils se terrent dans leurs abris pendant la canonnade et ressortent
ensuite avec leurs mitrailleuses, tous nos hommes seront fauchés.
— Vous n’avez pas l’air de
comprendre, lança Fitz avec colère. Dans toute l’histoire militaire, il n’y a
jamais eu de bombardement de cette intensité. Sur la ligne de front, nous avons
un canon tous les vingt mètres. Nous avons l’intention de tirer plus d’un
million d’obus ! Rien ni personne n’y survivra.
— Eh bien, nous sommes au
moins d’accord sur un point, conclut le capitaine Evans. Comme vous le dites,
on n’a jamais rien fait de tel, si bien qu’aucun de nous ne peut prédire ce qui
en résultera. »
6.
Lady Maud comparut devant le
juge de paix d’Aldgate, coiffée d’un grand chapeau rouge orné de rubans et de
plumes d’autruche. Elle fut condamnée à payer une amende d’une guinée pour
avoir troublé l’ordre public. « J’espère que le Premier ministre Asquith
en sera informé », dit-elle à Ethel alors qu’elles quittaient le prétoire.
Ethel n’était pas optimiste. « Nous
n’avons aucun moyen pour l’obliger à faire quelque chose, observa-t-elle avec
exaspération. Et rien ne changera tant que les femmes n’auront pas le pouvoir
de faire tomber un gouvernement. » Les suffragettes avaient voulu faire du
droit de vote des femmes un des grands sujets des élections législatives de
1915, mais le Parlement de guerre avait reporté la date du scrutin. « Il
va falloir attendre la fin des hostilités.
— Pas forcément »,
objecta Maud. Elles s’arrêtèrent sur les marches du tribunal à la demande d’un
photographe, puis prirent le chemin de La Femme du soldat. « Asquith
se bat comme un beau diable pour préserver la coalition des libéraux et des
conservateurs. Si elle se dissout, il sera obligé d’organiser des élections.
Cela nous donne une chance.
— Comment ça ? s’étonna
Ethel, persuadée que la question du vote des femmes était presque enterrée.
— Le gouvernement a un
problème. Le système actuel prévoit que les soldats qui sont sous les drapeaux
ne peuvent pas voter, parce qu’ils ne sont pas considérés comme chefs de
famille. Avant la guerre, quand l’armée ne comptait qu’une centaine de milliers
d’hommes, ce n’était pas très important. Aujourd’hui, ils sont plus d’un
million. Le gouvernement ne peut pas se permettre d’organiser des élections en
les excluant du vote – ces hommes meurent pour leur pays. Il y aurait des
mutineries.
— Et s’il y a une réforme du
système électoral, comment ne pas accorder le droit de vote aux femmes ?
— C’est précisément ce que
ce mollasson d’Asquith cherche à faire.
— C’est impossible !
Les femmes participent à l’effort de guerre au même titre que les hommes :
elles fabriquent les munitions, soignent les soldats qui ont été blessés en
France, et exercent un tas de métiers jusque-là réservés aux hommes.
— Asquith espère arriver à s’en
sortir en évitant ce genre d’arguments.
— Alors, il faut tout faire
pour l’en empêcher. »
Maud sourit. « Exactement.
Voilà notre prochain thème de campagne. »
7.
« Je me suis engagé pour me
tirer de la maison de redressement, expliqua George Barrow, penché sur le
bastingage du navire de transport de troupes qui s’éloignait de Southampton. Je
me suis fait pincer à seize ans pour cambriolage. J’ai écopé de trois ans, mais
au bout d’un an, j’en ai eu ma claque de sucer la bite du maton, alors j’ai dit
que je voulais m’engager. On m’a emmené au centre de recrutement et l’affaire a
été réglée. » Billy le regarda. Avec son nez tordu, son oreille abîmée et
sa cicatrice sur le front, George ressemblait à un ancien boxeur. « Tu as
quel âge, maintenant ? demanda-t-il.
— Dix-sept. »
En théorie, les garçons de moins
de dix-huit ans n’avaient pas le droit de s’engager et il fallait en avoir
dix-neuf pour être envoyé à l’étranger. Cependant l’armée enfreignait
systématiquement ces deux règles. Les sergents recruteurs et les médecins
militaires, qui touchaient une demi-couronne chacun pour tout engagé, posaient
rarement de questions à ceux qui
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