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La Chute Des Géants: Le Siècle

La Chute Des Géants: Le Siècle

Titel: La Chute Des Géants: Le Siècle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ken Follett
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payé. « Comment
tu te débrouilles ?
    — Je touche douze roubles
par semaine à l’usine. »
    Il en resta perplexe. « Mais
c’est le double de ce que tu gagnais quand je suis parti !
    — Le loyer de la chambre est
passé de quatre à huit roubles par semaine. Ça me laisse quatre roubles pour
tout le reste. Et un sac de patates vaut sept roubles, contre un avant.
    — Sept roubles, le sac de
patates ! s’exclama Grigori, consterné. Comment font donc les gens ?
    — Ils ont faim. Les enfants
tombent malades et meurent. Les vieux s’éteignent, tout simplement. La
situation empire de jour en jour, et personne ne fait rien. »
    Grigori était effondré. À l’armée,
dans les moments durs, il se consolait en se disant que Katerina et le bébé
allaient bien, qu’ils avaient un toit au-dessus de leur tête et de quoi se
nourrir correctement. S’il avait su ! Il était fou de rage à l’idée que
Katerina soit obligée de laisser le petit tout seul pour faire le pied de grue devant
la boulangerie.
    Ils s’assirent à la table et
Grigori entreprit de couper des tranches de saucisse avec son couteau. « Est-ce
que tu pourrais faire du thé ? » demanda-t-il.
    Katerina sourit : « Ça
fait un an que je n’en ai pas bu.
    — Je t’en rapporterai de la
caserne. »
    Comme elle mordait dans une
rondelle de saucisse, il remarqua qu’elle se retenait pour ne pas l’avaler tout
rond. Il prit Vladimir sur ses genoux et lui donna de la confiture. Le petit
garçon était un peu jeune pour manger de la viande.
    Grigori sentit une sorte de
béatitude l’envahir. Cette chambre, la table couverte de nourriture, le bébé et
Katerina, cette scène dont il avait rêvé au front, voilà qu’il la vivait enfin.
Il murmura d’un air songeur : « Ça ne devrait pas être si difficile.
    — Quoi donc ?
    — Nous sommes jeunes et
solides tous les deux, durs à la peine. Je ne demande pas grand-chose :
une chambre, de quoi manger, du repos en fin de journée. On devrait vivre comme
ça tous les jours.
    — On a été trahis par les
partisans de l’Allemagne à la cour du tsar.
    — Vraiment ? Comment ça ?
    — La tsarine est allemande,
tu le sais bien.
    — Et alors ?» Le tsar
avait effectivement épousé la princesse Alix de Hesse et du Rhin. «Et Stürmer
est évidemment allemand. »
    Grigori haussa les épaules. À sa
connaissance, Stürmer, le Premier ministre, était né en Russie. De nombreux
Russes portaient des noms allemands et inversement : les habitants des
deux pays traversaient la frontière dans un sens ou dans l’autre depuis des
siècles.
    « Quant à Raspoutine, il est
pro-allemand.
    — Ah bon ?» Pour
Grigori, les seules préoccupations du moine fou étaient d’hypnotiser les jolies
femmes de la cour ainsi que d’accroître son pouvoir et son influence.
    « Ils sont tous de mèche :
St ü rmer est payé par les Allemands pour affamer les paysans ; le
tsar téléphone à son cousin, l’empereur Guillaume, pour lui indiquer où nos
troupes se déploieront ; Raspoutine veut que nous nous rendions ;
quant à la tsarine et à sa dame d’honneur, Anna Viroubova, elles couchent
toutes les deux avec lui. »
    Grigori avait entendu la plupart
de ces ragots. Il ne croyait pas que la cour soit pro-allemande. C’étaient
simplement des gens stupides et incompétents. Mais grand nombre de soldats
gobaient ces histoires – et pas mal de civils aussi à en juger par le
discours de Katerina. C’était aux bolcheviks d’expliquer au peuple les vraies
raisons pour lesquelles la Russie perdait la guerre et mourait de faim.
    Mais pas ce soir. Vladimir
bâilla. Grigori se leva, le prit dans ses bras et se mit à faire les cent pas
en le berçant pendant que Katerina lui racontait sa vie. Elle parla de son
travail à l’usine, des autres locataires de l’immeuble et des gens qu’il
connaissait. Le commissaire Pinski, maintenant promu lieutenant de la police
secrète, traquait ces gens dangereux qu’étaient les libéraux et les démocrates.
Les rues grouillaient d’orphelins ; ils étaient des milliers à vivre de
rapines et de la prostitution, quand ils ne mouraient pas de faim et de froid.
Konstantin, le meilleur ami de Grigori aux usines Poutilov, était à présent
membre du Comité bolchevique de Petrograd. Les Vialov étaient les seuls à s’enrichir :
malgré les restrictions, ils avaient toujours de la vodka à vendre, du caviar,
des cigarettes et du

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