La Chute Des Géants: Le Siècle
de
résidence au kaiser, la nourriture y était excellente. En dépit de sa colère et
de son abattement, Walter avait faim, comme tout le monde en Allemagne ;
il se servit une montagne de poulet froid, de salade de pommes de terre et de
tranches de pain blanc.
« Zimmermann, le ministre
des Affaires étrangères, s’attendait à cette décision, dit von Henscher. Il se
demande comment dissuader les États-Unis d’entrer en guerre. »
Si nous coulons leurs navires et
faisons périr leurs citoyens, l’affaire est mal engagée, pensa Walter.
« Pouvons-nous, par exemple,
poursuivit le général, fomenter un mouvement de contestation parmi les
Américains de souche allemande ? Ils sont, je crois, un million trois cent
mille. »
Walter soupira en son for
intérieur. « Quelle blague ! dit-il tout haut. Cela n’a aucune chance
de marcher !
— Surveille ton langage
quand tu t’adresses à tes supérieurs ! » lança Otto sèchement.
Henscher fit un geste d’apaisement.
« Laisse ton garçon dire ce qu’il pense, Otto. J’aime autant qu’il s’exprime
franchement. Qu’est-ce qui vous fait dire cela, commandant ?
— Si ces Allemands aimaient
leur patrie, ils ne l’auraient pas quittée ! expliqua Walter. Ils mangent
peut-être de la Wurst et boivent de la bière, mais ils sont américains.
Ils se battront pour l’Amérique.
— Et les Irlandais de souche ?
— Pareil. Ils détestent les
Anglais, bien sûr, mais quand nos sous-marins auront tué des Américains, ils
nous détesteront plus encore.
— Comment le président
Wilson pourrait-il nous déclarer la guerre ? intervint Otto sur un ton
irrité. Il vient d’être réélu parce qu’il a su tenir l’Amérique à l’écart du
conflit ! »
Walter haussa les épaules. « En
un sens, cela lui facilite la tâche. Les gens se diront qu’il n’avait pas le
choix.
— Qu’est-ce qui pourrait le
retenir ? demanda von Henscher.
— Que l’on protège les
navires des pays neutres…
— Hors de question ! l’interrompit
son père. À outrance signifie à outrance. C’est ce que la marine réclamait, et
Sa Majesté le lui a accordé. »
Von Henscher ajouta : « Si
les questions de politique intérieure ont peu de chances d’influencer Wilson,
pensez-vous que des problèmes de politique extérieure, dans sa moitié du monde,
pourraient retenir son attention ailleurs ? Au Mexique, par exemple »,
précisa-t-il en se tournant vers Otto.
Celui-ci esquissa un petit
sourire de satisfaction. « Ah, vous songez àl ’Ypiranga ? Je reconnais que cela a été un petit chef-d’œuvre de diplomatie
agressive. »
Walter n’avait jamais partagé
l’enthousiasme de son père à propos de cette affaire de livraison d’armes
allemandes au Mexique. Il considérait qu’Otto et ses amis pourraient bien regretter
un jour d’avoir humilié le président Wilson.
« Alors ? demanda
Henscher.
— La plus grande partie de l’armée
américaine se trouve déjà au Mexique ou le long de la frontière, expliqua
Walter. Sous le prétexte de traquer un certain Pancho Villa, un bandit qui se
livre à des pillages de part et d’autre de la frontière. Le président Carranza
crie au scandale et à la violation de son territoire, mais il ne peut pas faire
grand-chose.
— Et si nous lui prêtions
main-forte ? »
Walter réfléchit. Ce genre de machination
diplomatique lui paraissait extrêmement risquée, mais il était de son devoir de
répondre aux questions avec le maximum de précision. « Les Mexicains ont
le sentiment d’avoir été dépossédés du Texas, du Nouveau-Mexique et de l’Arizona.
Ils rêvent de récupérer ces territoires, de la même façon que la France s’imagine
pouvoir un jour reprendre l’Alsace et la Lorraine. Le président Carranza
pourrait être assez fou pour croire la chose possible.
— Quoi qu’il en soit, s’enflamma
Otto, une telle tentative détournerait certainement l’attention des Américains
du continent européen !
— Pendant un temps, oui,
convint Walter à contrecœur. Mais à longue échéance, notre ingérence
renforcerait la position des Américains qui souhaitent entrer en guerre aux
côtés des Alliés.
— C’est le court terme qui
nous intéresse. Tu as entendu Holtzendorff : dans cinq mois, nos
sous-marins auront mis les Alliés à genoux. Ce qu’il faut, c’est occuper les
Américains jusque-là.
— Et les Japonais ?
avança Henscher. À votre
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